La poursuite de la liberté intérieure est centrale dans la recherche spirituelle contemporaine. C’est à n’en pas douter sa grandeur. Ce peut aussi être son drame en ce qu’il arrive à plusieurs de s’arrêter au seuil ou sur le porche de cette Terre promise, la croyant plus petite qu’elle n’est en réalité.
La première conquête, ardue, sans doute toujours inachevée, est celle de la liberté psychologique. L’être humain grandit au sein de multiples et complexes conditionnements. Ils sont faits aussi bien de son hérédité que des expériences fondatrices de sa vie. À certains tournants de la vie, il devient impérieux de les nommer. D’en repérer l’emprise parfois tyrannique sur son présent. De créer des espaces au sein desquels il devient possible de vivre dans une plus grande authenticité. Quel travail incessant que celui de s’affranchir peu à peu de ses surmois tenaces et de ces voix intérieures qui dictent des attentes ou des interdits ! Quelle lutte éprouvante que celle de faire taire ses peurs fondamentales (la peur de déplaire, la peur de décevoir, la peur d’être abandonné)! Quel combat toujours à reprendre contre les formes si subtiles de la culpabilité, aussi bien celle qui a trait aux conséquences de ses gestes passés qu’à celle des décisions qu’on aurait envie de prendre !
Pour certains, la liberté intérieure s’identifie, et donc se limite, à cette liberté psychologique. Sans contredit, ce travail intime, réalisé souvent avec l’aide de la psychologie moderne, constitue une véritable exigence spirituelle et pour les chrétiens, Dieu y est à l’œuvre. Mais il existe aussi une liberté spirituelle, plus radicale que la liberté psychologique. En voici deux visages. Il y a d’abord la liberté qui s’obtient par un travail de désencombrement de sa vie. On y parvient en identifiant et en éliminant progressivement le superflu et le non essentiel. Ce sont les choix courageux de ceux qui pratiquent, par exemple, la simplicité volontaire (http://www.simplicitevolontaire.org/).
Et puis, il y a, sur un plan plus profond encore, la liberté qui découle du détachement par rapport non seulement aux événements, heureux ou malheureux, mais même par rapport au désir lui-même de bonheur et de vie spirituelle. Il s’agit de liberté en ce que la paix intérieure, le bonheur ou l’unité de l’être ne dépendent alors plus des circonstances extérieures. Ce fut l’idéal d’« ataraxie » des stoïciens qui, grâce à certains maîtres spirituels chrétiens, s’est rendu jusqu’à nous. Déjà, saint Paul pouvait écrire : « J’ai appris à me contenter de ce que j’ai. Je sais vivre dans la pauvreté et je sais vivre dans l’abondance. J’ai appris à être satisfait partout et dans toutes les circonstances, que j’aie assez à manger ou que j’aie faim, que j’aie trop ou que je n’aie pas assez » (aux Philippiens 4 12). Puisque tout ce qui arrive dépend de la providence divine, « la liberté, enseigne Épictète, consiste à vouloir que les choses arrivent non comme il te plaît, mais comme il est juste qu’elles arrivent ». Cette liberté, c’est aussi l’indifférence imperturbable recherchée par la voie bouddhiste pour ceux qui, éveillés à l’impermanence de toute chose, ont découvert le désir comme la cause de toute souffrance et s’inclinent devant le destin (karma) avec la souplesse du roseau sous le vent.
Il est triste de penser que très peu de personnes savent qu’il existe aussi une autre liberté spirituelle, moins austère, plus joyeuse : la liberté intérieure chrétienne. Tout à fait compatible avec ce qui précède, comme nous le voyons avec Paul, cette dernière repose tout entière sur une relation. Pour la tradition judéo-chrétienne qui parle d’Alliance, le lieu de la liberté est la relation. Pour Jésus et ses disciples, l’amour – celui dont on est aimé et celui dont on aime – est le principe absolu qui l’emporte sur toute loi et sur toute obligation, ce qui amènera l’audacieuse formule d’Augustin « Aime et fais ce que tu voudras ». La liberté chrétienne naît et se déploie dans un jeu de relations. « Là où l’Esprit du Seigneur est présent, écrit encore Paul, là est la liberté » (aux Corinthiens 2, 3 17). Se savoir aimé de Dieu d’une manière absolue, d’un amour que seule la relation filiale approche, et s’ouvrir à l’amour des autres, voilà le lieu d’une totale liberté. « Vous n’avez pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte, mais un Esprit de fils et de filles adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba ! Père ! » (aux Romains 8 14).
Lorsque le Christ fit face à son arrestation, à son procès et à cette mort violente qui éclabousse présentement de sang les écrans du monde occidental, il parut totalement réduit à l’impuissance. En réalité, sans aucune trace d’aliénation (et comme c’est paradoxal), dans la relation d’un « je » et d’un « tu» », il témoignait de la plus haute liberté à laquelle l’humain puisse aspirer. « Père, éloigne de moi cette coupe; toutefois, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Marc 14 36). « Ma vie, personne ne me l’enlève : c’est moi qui la donne » (Jean 10 18).