Midi. La journée est à sa hauteur. Le soleil brille de tous ses feux quand les nuages ne le cachent pas. C’est l’heure intense. La marée humaine se déplace. Elle cherche d’autres rives où se laisser choir, le temps de manger et de prendre quelque repos. L’estomac crie qu’il a faim. Et son cri peut même enterrer toute sirène qui signale l’arrêt de travail de midi.
Tout bouge dans la rue. Les piétons se croisent et s’entrecroisent. On dirait une danse aux multiples rythmes. Une musique plutôt maladroite ponctue ces pas de danse: les klaxons des automobiles, le rire de certains passants, le cri des amuseurs publics, la boîte qu’on échappe, la porte qu’on laisse claquer… Cet homme court au bistrot le plus près avant d’aller fouiner dans une librairie. Cette femme prend son temps: elle a une bonne heure à elle pour flâner et picorer dans son plat de salade. Cette autre guette au coin de la rue un ami à qui elle a donné rendez-vous. Deux autres rêvent ensemble de voyages et de vacances. Un autre fait du lèche-vitrine. La liste des activités du midi est longue, variée, interminable. J’hésite même à parler de «pause» pour qualifier ce moment de la journée, tellement ça grouille.
Temps souvent agréable, parce qu’il est fait de ce qu’on veut bien y mettre. Un temps libre sans pour autant être la liberté totale. Un temps neuf sans pour autant être totalement nouveau. Un temps à soi sans pour autant nous être exclusif. Un temps perdu qui représente un gain. Midi est paradoxal. Il ressemble à l’ensemble de la vie. Celle-ci n’est-elle pas remplie de contradictions qui se côtoient et s’entendent relativement bien?
La vie n’est jamais ou toute blanche ou toute noire. Elle compose ses couleurs et ses nuances dans des contrastes variés. Elle se découvre en nous étonnant des rapprochements qu’elle invente. La vérité ne naît-elle pas du choc des idées? La vie prend son sens en faisant se bousculer entre eux les faits et les gestes, les paroles et les pensées. Quand nous souhaitons un déroulement de nos journées qui soit logique et bien raisonnable, écoutons midi nous entraîner sur des sentiers plus réalistes. Quand nous aimerions tout contrôler de notre temps, de nos occupations, de nos engagements, écoutons midi nous vanter le bonheur que procurent les surprises, les rencontres inattendues, les événements inespérés.
Dans toute sa fantaisie, midi se présente comme la sagesse du temps, le philosophe qui fait voir le temps sous un angle souvent différent de celui que nous pensions adopter. Midi, un maître de vie.