La nuit achève de s’écouler au sablier du temps. Elle se recroqueville dans les recoins des jardins et des fonds de cour. Le matin la poursuit et finit par la faire disparaître. Le jour va pouvoir régner à son tour au royaume du quotidien.
– Bonjour, matin!
– Bonjour!
Chaque fois que je le salue, le matin me répond aussitôt. Doucement. Et dans un beau langage. Un ruban de lumière s’étire le long des montagnes. Il découpe l’horizon. Lentement, son éclat s’étale dans le firmament. Il s’intensifie. Voilà le premier «Bonjour!» qui m’est offert chaque jour. Je sais bien que le matin en fait autant lorsque je suis absent. Qu’il en fait même pour d’autres. Mais j’aime à croire qu’il le fait pour moi, qu’il existe des connivences entre lui et moi, une sorte de parenté. Une véritable consanguinité.
J’aime bien le matin. C’est à lui que je réserve mon premier regard du jour. À la fenêtre, je le vois se déplier et commencer une nouvelle vie. Il est naissance et me fait naître. Avec lui, je sors du sein de la nuit. Avec lui, je m’échappe des griffes de l’inconscience. Je brise les chaînes du sommeil. Je bouge. J’étends la main. Je fais un pas ou deux. J’entre en mouvement. La liberté m’attend pour la danse d’un autre jour.
Vivre et vivre pleinement un autre quotidien. J’aurais pu ne pas me réveiller. La mort aurait pu se faufiler dans mon sommeil et m’emporter à tout jamais. Mais je suis là. En même temps que le matin, je ressuscite. Je suis vivant et je ne suis pour rien dans ce cadeau qui m’est fait aujourd’hui. La vie ne m’appartient pas même si je l’étreins de toute mon énergie. Elle m’a été donnée, il y a déjà plusieurs années. Chaque jour, chaque heure depuis ce temps, elle m’est offerte, elle se donne et s’abandonne à moi, à mes initiatives, à mes requêtes, à mes créativités… Aujourd’hui encore, depuis ce matin, j’ajoute des pas à sa promenade dans l’existence.
Le matin est arrivé gratuitement. Il s’est levé sans penser au rendement à fournir pour être utile, productif, rentable. Et il me dit: «Respire pour rien, toi aussi! Clignote des yeux sans te demander s’il en vaut la peine. Place du gratuit dans ton portefeuille, à côté de tes billets de banque et de ta carte de crédit. Une chanson te chatouille l’oreille, fredonne… Écoute le silence. Les bruits viendront si rapidement et étoufferont la paix tranquille qui accompagne ton lever. Profite de ces quelques minutes. Profites-en sans chercher de profit!»
J’espère que le matin a passé une bonne nuit. Et quand la mienne a été plutôt médiocre, je me repose du repos du matin qui arrive tout frais et dispos, sans ride ni grimace. Je me laisse contester par lui. Peut-être saura-t-il me convaincre de me ressaisir, de glisser en moi des bribes de son bien-être.
Chaque jour, le matin se présente à moi comme une gare, comme un port, comme une route. Il m’invite au voyage. Je pars avec lui. Je me transformerai comme il se transformera lui-même en matinée, en après-midi et en soirée. Je m’adapterai aux heures avec l’impression que ce sont elles qui s’adaptent à moi. Je verrai se métamorphoser la lumière pendant qu’elle se projettera sur toute chose.
– Bonjour, matin!
– Bonjour!