Pendant qu’en Israël et en Palestine on érige un mur pour séparer Juifs et Palestiniens, pendant qu’à Bujumbura on assassine le nonce apostolique qui, en plus, est agent de négociation entre les forces en présence, pendant qu’en Iran on se méfie des ennemis qui offrent leur aide aux sinistrés des tremblements de terre, pendant qu’en Iraq les agressions et les résistances continuent la guerre, pendant que les Américains guettent avec angoisse toute manifestation terroriste et voient des ennemis partout, pendant qu’en France on se scandalise devant le port de signes religieux, la liturgie chante son Noël avec des mages.
Ces personnages viennent d’Orient. Autrement dit, ils viennent d’ailleurs avec tout ce qu’ils sont d’étranges, de pays étranges et étrangers. Ils traversent des frontières. Ils sautent des clôtures. Ils n’arrivent pas pour négocier des pactes d’agression ou même de non agression. Ils ne se sont pas déplacés pour attaquer ou pour s’imposer. Ils viennent voir un nouveau-né. Une naissance, du neuf, de la vie toute fraîche. Ils viennent voir l’avenir sur une planète qui a peur de la suite de son histoire. Ils cherchent un enfant comme une promesse dans un univers qui n’attend plus de garantie de survie.
Ces jours-ci, j’entendais un artiste dire candidement à la télévision que la messe des églises est insignifiante. Personnellement, je crois le contraire: la messe des églises est contestatrice, révolutionnaire. En la fête de l’Épiphanie, par exemple, elle refuse d’embarquer dans le jeu des guerres qui brûlent la planète. Elle abolit les frontières et les murs. Elle rapproche. Elle met ensemble les différents, les pas pareils, les uns et les autres. Pas de lutte de classes ici. Pas d’affirmation de puissance et de despotisme. Rien qu’un enfant.
Oh! j’admets que nos eucharisties ne sont pas toujours emballantes. Qu’elles nous ennuient de temps à autre. Mais l’enfant de Bethléem n’était pas plus retentissant dans ce coin de planète où la pauvreté mordait goulûment ses victimes. Le petit de Marie n’avait rien du leader qui va affronter l’occupant, rien du transgresseur des lois iniques, rien du chef et du roi éclaboussant.
Hérode s’est énervé pour rien pendant que les mages se sont déplacés pour tout. Tout! Tout est là. La vie, la simplicité, la confiance, l’affection, la tendresse, la paix: tous les ingrédients pour bâtir et non pour détruire, pour unir et non diviser. Tout est là pour garantir une fraternité, une solidarité humaine.
Le plus beau cadeau que le christianisme offre au monde, c’est l’espérance. Une espérance en forme de naissance, autrement dit une espérance qui porte de nouvelles possibilités. Espérer, c’est créer autrement. Espérer, c’est transgresser les lois des logiques habituelles pour inventer des solutions différentes aux conflits qui nous assaillent et aux défaitismes qui nous guettent.
Dieu a été le premier à espérer de cette façon. Il a refusé de glisser sur la pente naturelle de l’histoire. Il s’est présenté dans un enfant né d’une jeune femme désarmée. Et, du coup, l’histoire a rebondi. Depuis deux mille ans, des hommes et des femmes prennent la route autrement, choisissent de vivre autrement, tracent autrement les chemins de l’humanité. L’étoile qui les guide les appelle toujours ailleurs quand ils ont la tentation de revenir en arrière ou de s’installer dans les vieux schèmes, les vieilles idées de puissance et d’égoïsme.
Le récit de l’Épiphanie peut sembler inoffensif à première vue. Mais, en fait, il est subversif comme un enfant peut l’être dans toute sa faiblesse et son innocence.