Nous vivons dans un univers de signes et de symboles. Les plus nobles, ceux qui méritent le plus notre respect, ce sont les mots. Et j’oserais ajouter: les mots quand nous parvenons à les écrire, qu’ils s’étalent sur le papier en arabesques convenus et pourtant mystérieuses et étonnantes.
Le papier vient de l’arbre et l’arbre de la forêt. La forêt sait-elle qu’elle est devenue écriture? La forêt soupçonne-t-elle qu’elle porte dans son secret et le savoir humain, et les mots d’amour, et les découvertes de la science, et la sagesse des anciens, et la fantaisie de l’enfant, et la poésie de l’artiste?
Depuis des milliers d’années, des siècles et des siècles, la main humaine trace des écritures pour projeter la pensée et l’offrir à qui veut la lire. L’esprit se fait dessin et lettres, il se fait mots et phrases pour se communiquer.
Nous sommes loin l’un de l’autre. Tu m’écris. Je reçois de toi une lettre. Tu es maintenant proche. Cette lettre est ta présence auprès de moi. J’entends ta voix quand je te lis. Je vois ta main qui trace les lettres. Je sais que tu as écrit toi-même ton nom au bas de la feuille, que tu l’as plié toi-même et glissé dans une enveloppe. C’est toi qui as écrit mon nom sur l’enveloppe, et l’adresse. Que tu me donnais d’exister auprès de toi dans ce nom et cette adresse tracés devant toi. Après avoir traversé des villes, ce bout de papier m’est arrivé comme une belle visite.
Se peut-il que les humains aient réussi ce tour inouï d’inventer des signes pour se dire et se recevoir? Se peut-il que nous ayons trouvé un pont pour nous rejoindre? Se peut-il que les mots aient réussi à nous donner la vie et à nous faire naître sans cesse de l’échange de nous-mêmes dans ces mots et ces phrases couchés sur papier.
Et se peut-il que Dieu soit venu lui-même comme une Parole, comme un Verbe d’action, un Verbe à l’actif qui se conjugue à tous les temps, qui se fait désir au subjonctif, qui devient révélation à l’indicatif présent, qui refuse le conditionnel à moins que ce soit pour respecter notre liberté, qui dit son origine au passé simple et composé, qui s’attend au futur comme quelqu’un qui vient sans cesse, qui est même parfait à l’imparfait? Se peut-il que Dieu ait inventé une grammaire où les règles se conjuguent comme le verbe aimer? Et qu’il se laisse saisir à travers des signes de ponctuation? Avez-vous pensé que Dieu utilise le point d’exclamation pour s’extasier devant nos bons coups? Et qu’il préfère la virgule au point final pour rester indéfiniment en communication avec nous? Et qu’il accepte patiemment le point de suspension pour respecter nos lenteurs et nous attendre aussi longtemps qu’il sera nécessaire de le faire? Et qu’il veut nous embrasser quand il emploie les guillemets ou les parenthèses?
Vive les mots et les phrases! Vive la grammaire, et la syntaxe, et le vocabulaire! Ils disent tout de nous et de Dieu, même l’indicible, même ce qui ne s’écrit pas, car le langage et l’écriture savent très bien évoquer autant que d’affirmer. Ils connaissent la poésie, ce langage plus vrai, plus précis que tout autre, surtout quand il s’agit de parler de Dieu, quand il s’agit de saisir les signes qu’il nous adresse ou quand nous écrivons à son sujet.
Au commencement était l’Écriture, et l’Écriture a été créée par Dieu et l’Écriture a donné naissance à toute l’oeuvre de Dieu, de signe en signe, de symbole en symbole. Et l’Écriture s’est faite chair, elle a habité parmi nous et nous avons appris à lire au souffle de l’Esprit.
J’ouvrirai donc le livre de vie, le livre des secrets, le livre des mystères de Dieu et de nos propres mystères étroitement conjugués les uns avec les autres.