Née à la Chaux-de-Fonds (Suisse). Fille d’un médecin protestant. Médecin elle-même, mariée, mère de famille, elle se convertit au catholicisme en 1940, suite à sa rencontre avec le père Hans Urs von Balthasar. Avec la collaboration de ce dernier, pendant vingt- sept ans, elle fonde un institut séculier et publie une œuvre théologique considérable (environ soixante volumes) d’une grand richesse spirituelle et biblique. Elle meurt à Bâle en 1967.
Aussi longtemps que Marie vit dans le temps de la promesse, celle-ci est objet de sa méditation. « Une jeune fille enfantera… » Elle peut méditer sur ce prodige et sur tout ce qu’il implique : la destinée du Messie sur la terre. Mais quelle sera cette destinée ? Personne ne peut, au temps de la promesse, s’en faire une image. Toute représentation est trop courte. Et pourtant la promesse recèle l’infini de l’espérance en une abondance d’images et de concepts qui paraissent invraisemblables, mais qu’on ne peut refuser : ils traduisent la perfection de l’événement divin qui va se produire sur la terre. Marie le médite dans son cœur de jeune fille, d’enfant même. Il appartient à sa prière et à la vie pour laquelle elle veut vivre sans que l’idée lui vienne le moins du monde qu’elle-même pourrait être choisie.
Il y a en elle tant d’originelle virginité, tant de définitif et d’immuable que cette méditation lui est certainement très chère. Peut-être éveille-t-elle en elle les sentiments maternels que, mère et vierge, elle aura pour son Fils, et ces sentiments de maternité physique et spirituelle sont, en elle, si ouverts qu’ils font place à ce qui sera l’exigence de son Fils, à ses souhaits, à ses plans et à leur réalisation.
De la venue de l’ange, sa méditation a reçu une nourriture nouvelle. Une impulsion nouvelle lui a été donnée, bien moins par son acquiescement que par le fait que l’ange l’a requise et vidée pour cette tâche. Il lui a enlevé ce qui, jusque-là, faisait l’objet de sa méditation pour le remplacer par une réalité nouvelle, et donc par une méditation nouvelle. Comme Marie ne pense jamais à elle-même, elle ne pensera plus à la mère du Messie, elle n’en fera plus l’objet de sa méditation ; .elle ne pensera plus qu’au Fils vivant en elle, elle ne fera plus que l’adorer, le contempler en se rendant disponible à tout ce qu’il pourra réclamer. Elle sait aussi que cette méditation, durant les neuf mois d’attente, fait déjà partie de ce qu’exige son Fils.
Après la naissance, elle regarde le Fils comme son enfant et elle doit en même temps voir en lui le Dieu infini et éternel. « Qui me voit, voit le Père. » A travers le Fils, elle apprend à connaître le Père sous un mode nouveau ; à travers le fruit qu’elle a porté, elle apprend à connaître l’Esprit qui féconde, et, à travers celui-ci comme à travers la semence venue du ciel, elle apprend à connaître le Père.
Qui veut scruter de plus près la méditation de Marie remarquera avant tout qu’elle détourne d’elle l’attention ; et que, lorsqu’elle regarde son Enfant et le tient dans ses bras de maman, elle doit considérer en lui ce qui est plus loin, voilé, mystérieux. Pour autant, le Fils ne lui devient pas irréel, ni son humanité chose secondaire. A lui vont ses attentions et ses soins, mais en les référant à son être divin et à la divinité du Père et de l’Esprit. Ainsi un homme, un enfant est-il capable de lui ouvrir le Dieu-Trinité. D’emblée, la maternité de Marie possède en soi cet espace ; comme créature, cependant, elle se sait sollicitée, par la présence de son Fils, par sa propre mission et le chemin qu’elle doit suivre, à méditer sur le Dieu trinitaire. Il n’y a là aucune discordance. La totalité lui est offerte.
Elle est vierge et mère ; elle est l’Épouse et l’Église ; elle éduque l’enfant et est aussi l’aide de l’homme, elle accompagne le Seigneur jusqu’à la croix et est confiée à Jean. Tous ces événements, qui font partie de la dure mais belle réalité, sont pour elle autant de signes de ce qu’elle est : elle est « plus », a une mission plus haute et doit vivre à la hauteur de cette mission. La maternité n’est pas d’un côté et la mission de l’autre. Elles sont toutes deux l’une dans l’autre. Cette unité est essentielle parce qu’elle nous permet de mieux comprendre dans la Mère de l’homme l’Homme-Dieu et à travers celui-ci s’ouvre le mystère du Dieu-Trinité. Tout se défait comme un échafaudage, et pourtant l’échafaudage garde sa signification. Car Marie est symbole et réalité ; cette unité des deux, la méditation la lui garde. « Être plus » de la sorte à l’intérieur de l’unité, cela est aussi offert à tout chrétien.
Toute future maman se le voit accorder à un titre spécial. Pour son mari, elle reste la même, mais elle sent en elle une vie nouvelle, le don de l’époux qui fait retour à lui. Le mari ne peut l’aider, au cours de sa grossesse, à faire l’unité avec son enfant; cette tâche lui incombe à elle seule. Pourtant son mari et sa paternité ne cessent pas d’être une réalité présente. Son mari lui est extérieur, mais son fruit vit à l’intérieur d’elle. Ainsi Marie vit-elle avec Dieu et avec son fruit en elle. Chez celui qui prie vraiment, le fruit de la prière ressemble au fruit des entrailles d’une mère. Chacun, en effet, porte avec soi sa prière, même lorsqu’il vit dans un milieu qui est bien loin de la prière, mais qui ne peut cependant être sans relation avec la prière, car Dieu, qui a créé ce monde, veut que les fruits de la prière lui soient départis. La carmélite qui offre sa vie dans la prière pour les péchés du monde n’a peut-être qu’une faible idée de la réalité du monde pécheur : elle prie et s’offre en union spirituelle avec Jésus et Marie et, dans l’insignifiance du quotidien de sa vie, elle ne peut se permettre aucune défaillance. La proximité avec Dieu doit rester égale ; et cette proximité, cette intimité inclut la présence du monde méchant, étranger à Dieu.
Pour apporter le salut au monde tel qu’il est, pour ramener sur le chemin des âmes perdues, la carmélite a choisi sa vie de prière et de pénitence. Elle l’a fait dans un but qui est bien loin d’elle et qui cependant est à l’origine de son genre de vie avec ses grandes et petites ordonnances. Le mouvement qui va de sa prière au monde, la fécondité de sa vie trouvent en Dieu leur point d’unité; elle recueille celui-ci dans le don qu’elle fait d’elle-même, comme une grâce toujours nouvelle ; le monde l’accueille sans pressentir d’où il lui advient et il participe ainsi, en Dieu et par Marie, à l’unité de la prière de la moniale.
En effet, ce qui caractérise la prière mariale, c’est d’inclure le monde dans sa prière sans vouloir tracer une limite quelconque entre soi et le monde. La carmélite inclut le monde ; Marie, dès le premier instant où elle rencontre l’ange. contient les désirs et les plans de son Fils qui sont à la mesure du monde. Et entre les plans de Dieu et le monde pécheur, le pont est jeté parce que le Fils est envoyé : par la faute d’Adam, l’humanité est devenue pécheresse, et le Père envoie dans le monde son Fils. Par son oui et par sa prière. Marie, vierge et mère, est prise dans ce lien que noue le Dieu trinitaire. Sa prière, dans l’Esprit Saint, se met à la disposition de celui qui sera le fruit de son sein, le Fils, et de ce qu’il apporte avec lui : le ciel tout entier, le ciel qui veut sauver le monde dans le Fils ; c’est ainsi que sa prière renferme le monde.
Toute prière contient donc des choses qui ont un nom, des choses que je ne connais pas mais qui tiennent ensemble par la prière et qui en Dieu seul, ont un nom. La fécondité de celui qui prie se répand sur ce qu’il connaît et sur ce qu’il ne connaît pas, sur les desseins évidents de Dieu comme sur ses décisions secrètes.