Vivre à la frontière
Mais, en ces jours-là, après cette détresse, le soleil s’obscurcira, la lune perdra son éclat, les étoiles se mettront à tomber du ciel et les puissances qui sont dans les cieux seront ébranlées. Et alors on verra le Fils de l’homme venir dans des nuées avec grande puissance et gloire. Et alors il enverra les anges pour rassembler ses élus, des quatre vents, de l’extrémité de la terre à l’extrémité du ciel. Du figuier apprenez cette parabole. Dès que sa ramure devient flexible et que ses feuilles poussent, vous vous rendez compte que l’été est proche. De même, vous aussi, lorsque vous verrez cela arriver, rendez-vous compte qu’Il est proche, aux portes. En vérité je vous le dis, cette génération ne passera pas que tout cela ne soit arrivé. Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point. Quant à la date de ce jour ou à l’heure, personne ne les connaît, ni les anges dans le ciel, ni le Fils, personne que le Père.
Commentaire :
Nous classons l’évangile de ce dimanche parmi les pages les plus incompréhensibles du Nouveau Testament. On le titre habituellement « Discours sur la Parousie» ou « Apocalypse synoptique ». Il y est question de l’abomination de la désolation sur la terre et de l’avènement du Fils de l’Homme. Comment harmoniser ce passage avec le reste des enseignements de Jésus ? Il est probable que Jésus a pu vouloir mettre en garde ses disciples contre les dangers connexes aux derniers jours ; Marc aurait pour sa part tenté de remonter le courage de son Église éprouvée par les persécutions. Les apôtres avaient questionné Jésus sur la fin des temps : « Dis-nous quand cela aura lieu et quel sera le signe que tout cela va s’accomplir ». (13 : 4) Le livre de Daniel (12 : 1 + ) va servir de bases et d’illustrations à ses pensées. Les versets 5-13 vont traiter des dangers imminents pour l’Église, les versets 14-23 décriront l’épreuve suprême des fidèles. Le tout se termine par l’avertissement : « Soyez sur vos gardes, veillez ! ». Tout le passage décrit donc l’événement ( 24-27) et en précise le moment ( 28-32).
L’ÉVÉNEMENT
Vraisemblablement, ce discours, inspiré par des propos de Jésus lui-même, a été composé ou remanié par l’évangéliste Marc ou les premiers missionnaires de l’évangile pour les besoins, en raison de la situation de l’Église. Cette remarque est d’importance, autrement nous risquons de nous demander sans réponse possible la raison d’être de ce passage dans notre liturgie de la Parole. Il demeure probable d’une part que Jésus a prophétisé la destruction du Temple de Jérusalem, comme un jugement divin pour les juifs, « les siens qui ne l’ont pas reçu » ; mais la jeune Église vivait d’autre part une détresse suprême en raison des persécutions, et elle devait aussi manifester des signes de relâche dans l’attente du retour du Christ et ne plus vivre que de l’esprit du monde présent, alors que d’autres, en raison des événements, semblent croire que la fin était déjà là. Aux premiers, Marc dit : « Veillez ! » et aux seconds : « Ce n’est pas encore la fin ». Avec un ton d’exhortation et de consolation, l’évangéliste décrit la période vécue par cette jeune Église comme une apocalypse : destruction du Temple en l’an 70 après Jésus, et surtout les persécutions qui s’abattent sur elle. Rappelant les paroles de Jésus, vivez à la frontière de l’éternité recommande Marc à ses disciples : « Je reviendrai vous prendre avec moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi » (Jn. 14 : 3 ) Malgré les assauts, les dangers d’anéantissement de l’Église, ne vous conformez pas au monde, ne désespérez pas, semble-t-il leur dire, votre histoire et l’histoire universelle demeure toujours ouverte sur l’éternité, sur Dieu, Seigneur de l’histoire. Marc donne cet enseignement en empruntant non moins largement aux textes de l’Ancien Testament. N’essayons pas de traduire le sens exact de ces images apocalyptiques en termes clairs et précis ; au contraire l’intuition et l’émotion doivent être de mise en cette lecture.
LE MOMENT
Mais quand cela arrivera-t-il ? Les prophètes de la fin des temps se sont toujours fait nombreux ; aujourd’hui, ils demeurent dans la ligne de pensée des millénaristes qui faisaient concorder la fin des temps avec l’arrivée de l’an 1000. « Dis-nous quand cela arrivera et quel sera le signe que tout sera sur le point de s’accomplir ? » La parabole du figuier qu’un jour Jésus fit entendre porte un élément de solution. Toutefois Marc peut avoir lui-même composé cette parabole du figuier en s’inspirant des images estivales de l’Ancien Testament (Am. 8 : 1 ss, Is 28 : 4, etc. ). L’arrivée de faux prophètes, les famines, la désolation à son degré ultime, tout cela a pu laisser croire que la Fin était proche et que le Fils de l’homme était aux portes. Telle pouvait être la pensée de la génération contemporaine de l’évangéliste toujours en conformité avec l’incapacité pour qui que ce soit de prédire la Fin : « Personne d’autre que le Père ne connaît … » La date de ce jour demeure cachée même aux anges. Et dans le contexte de l’Incarnation, pour partager profondément la condition humaine, le Christ renonce à certaines prérogatives divines ; en tant qu’homme, il a pu lui-même ignorer certains points du plan divin ultérieur, affirme le p.Benoit o.p.
Dans la pensée de ce dimanche, quelles que soient les conditions dans lesquelles se déroule la vie de l’Église et de tout chrétien, l’important demeure de toujours vivre à la frontière de l’éternité : « Vous ne savez ni le jour, ni l’heure, veillez et priez ! »