Sans aucun doute, chère Samaritaine, tu dois te souvenir de ta mémorable rencontre du Christ. La toute première, le jour où en plein midi tu es allée à la fontaine de ton village pour y puiser l’eau de tes nécessités quotidiennes.
Tu dois certainement bénir Jacob qui avait eu la brillante idée de creuser un puits à cet endroit. Et du même coup a donné naissance à ton village. Dans ta région, les villages sont nés à partir des sources qu’on y découvrait. Pour habiter quelque part, il faut toujours un point d’eau.
Tu dois bénir aussi les fontaines qui sont devenues des lieux de rencontre, une sorte de carrefour où se retrouvent les hommes et les femmes qui ont besoin d’eau: ceux qui ont soif, ceux qui veulent se laver, ceux qui cherchent un rafraîchissement, ceux qui veulent vivre et survivre. Le corps a besoin d’eau et il en cherche jour après jour.
Le coeur aussi a soif et il trouve son eau dans la convivialité, dans le dialogue avec les autres, dans la sociabilité qui naît entre les individus. En ton temps, très souvent, la fraternité surgissait à la fontaine du village. Des amitiés ont noué ceux et celles qui s’y retrouvaient. Des alliances ont été conclues à cet endroit.
Le Christ s’est arrêté au puits de Jacob. Où l’aurais-tu rencontré si tu avais vécu à notre époque, à l’époque des aqueducs qui amènent l’eau directement à chacune de nos maisons? Où l’aurais-tu croisé pour qu’il te demande à boire et te dise: «Si tu savais le don de Dieu… et quel est celui qui te dit: “Donne-moi à boire”, c’est toi qui aurais demandé et il t’aurait donné de l’eau vive.» (Jean 4, 10)?
Ce jour-là, tu as laissé supposer que la corvée était pesante. Tu trouvais même la soif épuisante puisque tu as supplié le Seigneur: «Donne-moi cette eau pour que je n’aie plus soif et que je n’aie plus à venir puiser ici» (4, 15). Il t’a offert une eau vive de la part de Dieu. Et tu as bu. Tu as bu avec avidité. Et, avec enthousiasme, tu as invité tes compatriotes à goûter eux-mêmes.
Le Seigneur t’a dit: «Celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif; au contraire, l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source jaillissante en vie éternelle» (4, 14). Personne n’oserait refuser une offre aussi alléchante. Personne ne repousserait une telle promesse. Tu as accepté la proposition du Christ et tu avais raison.
Mais la soif est-elle disparue de ta vie? Es-tu désaltérée pour toujours? La source qui jaillit en toi est-elle apaisante? Je n’en suis pas sûr. Car l’eau vive du Christ apaise en donnant soif davantage. Elle creuse en toi ton propre puits. Et elle creuse sans cesse, le plus profond possible pour trouver l’eau pure et sans alliage.
Le Christ t’a proposé de te désaltérer de ta soif elle-même. Davantage, il t’a offert de te désaltérer de la soif qui tenaille Dieu. Car Dieu aussi a soif. L’amour peut-il être autre chose qu’une soif infinie? L’amour peut-il être autre chose qu’un désir qui grandit sans cesse? L’amour peut-il être autre chose qu’une fontaine où le puits devient de plus en plus profond?
Comme l’eau, l’amour peut jaillir frais, désaltérant. Il s’infiltre dans les sinuosités de nos vies en espérant devenir torrent ou source nouvelle. Nous vivons uniquement ou principalement de nos amours. Et quand celles-ci nous manquent, la vie devient un immense désert, sec, invivable, sans oasis, sans puits.
Chère Samaritaine, tu as oublié ta cruche près de la fontaine de Jacob. Tu as troqué ta soif pour une autre soif. Désormais, tu vis d’amour et d’eau fraîche!