La route du Christ
Jésus se mettait en route quand un homme accourut et genou fléchi, lui demanda : « Bon maître, que dois-je faire pour avoir en partage la vie éternelle ? » Jésus lui dit : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Nul n’est bon que Dieu seul. Tu connais les commandements : Ne tue pas, ne commets pas d’adultère, ne vole pas, ne porte pas de faux témoignage, ne fais pas de tort, honore ton père et ta mère. » L’homme répondit : « Maître, tout cela, je l’ai gardé dès ma jeunesse. » Alors Jésus fixa sur lui son regard et l’aima. Et il lui dit : « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor au ciel ; puis, viens et suis-moi. » Mais lui, à ces mots, s’assombrit et s’en alla contristé, car il avait de grands biens.
Commentaire :
La composition d’où est tiré l’aventure du riche propriétaire contient en outre un entretien de Jésus avec ses disciples ( 10 : 23-30). Le souci de la vie éternelle domine tout l’ensemble de la section (10 : 17-30) La narration est remarquable : Jésus se met en route ; un homme accourt, et au lieu de l’inviter à suivre, Jésus s’entretient avec lui sur le vrai sens d’une démarche en vue de la vie éternelle.
Adressé aux premiers chrétiens, cet épisode du riche constitue comme une réponse à des juifs convertis pour qui la loi demeurait toujours, semble-t-il, l’apogée de l’engagement à la suite de Jésus. « Il n’y a rien de bon hormis la Loi. Il est dit : C’est une bonne doctrine que je vous ai donnée, ma loi, ne l’abandonnez pas. » (Pr. 4 : 23) D’ailleurs la réponse de Jésus le souligne : « Tu connais la Loi »… « cette Loi qu’il n’était pas venu abolir mais parfaire ». L’histoire aurait pu s’achever ici avec la réponse honnête et on ne peut plus sincère du riche : « Maître, j’ai observé tous ces commandements depuis ma jeunesse ». Mais Jésus poursuit le dialogue pour entraîner son interlocuteur vers une perfection de vie qui dépasse tout légalisme. On pourrait croire que Marc tente de donner ici un grand coup d’épaule à sa jeune communauté encore astreinte ou retenue par les exigences du judaïsme.
Même si Jésus exprime dans son regard l’admiration l’amitié qu’il a pour le riche, une surprenante déclaration vient ébranler son auditeur possesseur de grands biens : « Une seule chose te manque ! » Une seule… Quelle remise en question pour le riche et non moins pour chacun de nous dont l’examen de conscience se résume le soir venu à faire le tour des commandements de Dieu pour dormir le cœur en paix. Le riche se croyait irréprochable, d’une fidélité à toute épreuve, mais voilà, tout est remis en question, comme si la chose manquante allait éclipser toute les autres dont il a su jusqu’ici respecter les obligations. C’est l’occasion de faire le saut dans la véritable vocation chrétienne, de s’engager pour de vrai à la suite de Jésus.
A l’appel intérieur que ressent le riche, répond la démarche insolite proposée par Jésus sans insistance : « Va, vends ce que tu as, donne-le aux pauvres… » Richesse et salut, sont-ils à ce point incompatibles, puisque le mieux intentionné des riches en devient incapable à cause de son attachement à ses grands biens : « Car il avait de grands biens. » C’est comme s’il devait choisir entre deux trésors : celui qu’il détient sur la terre et le trésor de la vie éternelle.
Il ne faudrait pas entendre cet enseignement évangélique comme une condamnation de la richesse ou des riches ; toute interprétation restrictive ici est à rejeter. Ce qu’il faut comprendre, c’est que face à la vie éternelle, la richesse constitue un véritable obstacle, danger redoutable, et l’on doit s’en défaire dans la mesure où elle devient pierre d’achoppement sur le chemin du salut ; entrée dans le cœur de l’homme, la richesse risque de devenir une préoccupation, d’étouffer la parole. Tel est le sens de la réaction de l’homme riche et de sa tristesse : non en raison de sa grande fortune, mais parce que cette richesse le retient à ce point, l’enserre tellement qu’il ne peut s’en séparer pour suivre Jésus. Marc tente ainsi de secouer la torpeur de son auditoire et de lui rappeler la gravité du danger. Peut-être faudrait-il se convaincre un jour que la vie éternelle débute dès ici-bas et que le bonheur de cette vie ne consiste pas dans la richesse, mais le partage, la justice, le fait de voir les autres connaître une qualité de vie humaine. Comme Paul l’enseignait aux Corinthiens : « Vous connaissez la libéralité de notre Seigneur Jésus Christ, comment de riche qu’il était, il s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté… Il ne s’agit point pour soulager les autres de vous réduire à la gêne ; ce qu’il faut, c’est l’égalité. Dans le cas présent, que votre superflu pourvoit à leur dénuement, pour que leur superflu pourvoit un jour à votre dénuement. Ainsi régnera l’égalité. » (2 Co. 8 : 9+)
C’est de ce pas que débutera l’Église à la Pentecôte et ce sera là l’un de ses signes caractéristiques. (Ac. 2 : 44 ). Jésus lui-même en avait inculqué le modèle et l’Esprit. (Phil 2 : 6-11). Telle est vraiment la route du Christ sur laquelle il invite les siens à le suivre.