Il dit: «Aimez-vous les uns les autres… Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis… Heureux les doux… Heureux les artisans de paix… Je suis doux et humble de coeur… Je ne suis pas venu pour condamner, mais pour sauver…» Il est plein d’attention pour les petites gens. Il manifeste de la compassion. Il se montre bon, compréhensif.
Et pourtant, nous retrouvons dans sa bouche des paroles d’une grande dureté. Il est intraitable à l’endroit des pharisiens qu’il traite de «sépulcres blanchis». Il semble même mordre dans les mots qu’il profère. Il a des paroles très méchantes pour tout ce qui est autorité: que ce soit les autorités civiles ou les autorités religieuses. Il conteste les institutions. Il fulmine contre l’ordre établi. Il condamne les pratiques religieuses superficielles et les fausses puretés. Il démonte avec une facilité étonnante les raisonnements des interprètes de la loi et des prophètes. Il se montre très large quand il s’agit d’obéir aux lois. Un vrai délinquant!
Et il a le don de poser des gestes exaspérants. Il se tient avec les pécheurs et il semble aimer leur compagnie. Il a des mots tendres pour les prostituées. Il se laisse même toucher par elles. Il chasse les vendeurs du temple avec une vigueur qui fait contraste avec le «doux et humble de coeur» qu’il affirme être.
Il va sans dire qu’un tel comportement agace. On réagit. On conteste. On essaie de le mettre en boîte. On cherche ses points faibles pour l’accuser ou le discréditer auprès de ses partisans. On juge qu’il blasphème. D’autant plus qu’il semble prétendre être le Fils de Dieu en personne: non seulement la chose paraît ridicule, mais c’est une faute très grave. Finalement, on projette de le faire condamner, puis de le mettre à mort.
Jésus – vous avez deviné qu’il s’agit de lui! – n’est pas naïf. Il devine ce qui l’attend. D’autant plus qu’il connaît les Écritures saintes et que celles-ci n’annoncent pas une route pavée de roses pour celui que Dieu proposera comme Messie et Sauveur. Les poèmes du Serviteur souffrant au livre d’Isaïe décrivent celui qui doit venir comme un agneau qu’on conduit à l’abattoir, comme la victime de tortionnaires brutaux.
Jésus annonce donc son avenir peu reluisant à ceux qui l’entourent. Les disciples ne comprennent pas. Ils ont la tête ailleurs. Ils rêvent autrement. Ils imaginent un temps de bonheur, fait de victoire sur l’oppression. Et même un temps particulièrement reluisant pour eux-mêmes: des places de choix dans le royaume, de bons postes, un statut brillant!
Alors, Jésus se remet à contester. Il ne brasse plus les autorités en place ou la société ambiante, mais ses propres disciples, ses proches, ses amis. Il place un enfant au milieu du groupe. Il l’embrasse. Et il le présente comme un autre lui-même. Il sera aussi petit qu’un enfant, désarmé, nu, «atteignable», un être faible et sans puissance. Un être qui s’abandonne entre les mains de Dieu comme un enfant trouve sa sécurité dans les bras de ses parents.
Disciples de Jésus à notre tour, nous choisissons de suivre cet enfant. Nous vivons dans une Église qui partage la fragilité de son Seigneur. Notre Église est marquée par des scandales qui minent sa crédibilité. Les gestes et les paroles malhabiles de certains mettent en évidence les faiblesses qui nous habitent. Nous sommes entourés de gens qui n’accordent aucune importance à la foi. Nous subissons l’ironie de ceux qui croient s’être libérés de la religion qu’ils perçoivent comme un carcan, un esclavage. Le milieu où nous travaillons ne semble pas intéressé à chercher Dieu; il manifeste plutôt de l’indifférence quand ce n’est pas du mépris.
Les foyers de guerre qui brûlent un peu partout sur la planète, en Orient, en Afrique, les jeux dangereux du terrorisme et de l’anti-terrorisme, la pauvreté de plus en plus répandue, la violence qui prend de l’ampleur, surtout dans la vie conjugale, et combien d’autres situations malheureuses: tout cela nous fait demander l’aide de Dieu. Son silence nous rebute. Il nous est difficile alors de croire et d’agir en harmonie avec notre foi.
Il faut donc du courage pour suivre le Christ. Du courage et de la confiance. La confiance d’un enfant qui se laisse guider même quand c’est un autre enfant qui guide. La confiance, même quand le Christ se retrouve seul et isolé sur la croix et que Dieu semble occupé ailleurs.