Nous parlions de foi, de religion. Mon interlocuteur me dit:
– Je pensais que les adeptes d’une religion, en particulier les chrétiens, se servaient de la croyance comme d’une béquille pour compenser leurs faiblesses, leurs peurs, leurs angoisses. Tout récemment, j’ai rencontré quelques croyants doués d’une bonne maturité, solides au plan psychologique, des adultes quoi! Ils croyaient sans que la foi soit pour eux un cataplasme.
J’ai un ami à qui il arrive de prier de la façon suivante quand il traverse une épreuve: «Surtout, Seigneur, mêle-toi pas de cela!» Prière bizarre, me direz-vous, presque scandaleuse. Un jour, mon ami m’expliqua:
– C’est simple. Plus jeune, j’avais tendance à m’en remettre constamment à Dieu. Pour tout et pour rien. À première vue, l’attitude n’est pas mauvaise. Mais cela peut le devenir: je peux demander à Dieu d’intervenir à ma place parce que je n’ai pas le courage d’agir par moi-même. Une sorte de démission devant ma responsabilité. Ma prière peut sembler brutale, mais j’ai besoin de temps à autre de la prononcer aussi crûment, non pas pour refouler une possible intervention de Dieu, mais plutôt pour me convaincre personnellement de prendre mes responsabilités.
Je pensais entendre saint Augustin: «Lorsque l’Apôtre dit: “Faites connaître vos demandes auprès de Dieu”, on ne doit pas l’entendre en ce sens qu’on les fait connaître à Dieu, car il les connaissait avant même qu’elles existent; mais qu’elles doivent demeurer connues de nous auprès de Dieu, par la patience, et non auprès des hommes par l’indiscrétion. […] Les paroles nous sont nécessaires, à nous, afin de nous rappeler et de nous faire voir ce que nous devons demander. Ne croyons pas que ce soit afin de renseigner le Seigneur ou de le fléchir.» (Lettre à Proba sur la prière)
Effectivement, Dieu n’a pas besoin d’avertissement. Non seulement il sait déjà, mais encore il choisit de ne pas intervenir. Il n’est pas du genre à s’immiscer dans les domaines où nous possédons les capacités d’agir. Dieu n’a rien du paternel «gâteux» et débonnaire qui court au devant des besoins de ses enfants . Dieu n’est pas un marionnettiste qui commande les faits et gestes des humains du haut de son ciel. Il a créé l’homme et la femme avec une intelligence qui peut faire des découvertes et inventer des choses aussi étonnantes que des voyages sur d’autres planètes. Il a donné à chaque personne un coeur capable d’aimer et de se laisser aimer avec une sorte de perception instinctive des lois qui régissent les relations et les amours humaines. Il a modelé des corps suffisamment bien articulés pour intervenir avec habileté et souplesse dans la plupart des situations qui se présentent à eux.
Alors, la prière, ça sert à quoi? Deux choses. D’abord, ça sert à rien. C’est gratuit. De la pure gratuité. Comme l’amour, la prière n’appartient pas au domaine de la rentabilité, ni de l’efficacité, ni de l’utile. C’est totalement gratuit. «Je l’avise, et il m’avise», disait le paysan à qui le curé d’Ars demandait ce qu’il faisait tous les matins dans le dernier banc de l’église.
Deuxièmement, la prière a une certaine utilité pour moi. Elle me permet de situer ma vie dans l’histoire de l’humanité et dans le projet de Dieu sur cette humanité. Vaste paysage où je peux n’être qu’un brin d’herbe. Immense océan où je ne suis qu’une goutte. Mais j’ai besoin de me situer dans cet univers, situer ma vie, situer les événements qui la composent et trouver le sens qu’ils peuvent avoir dans mon existence. Ma foi se projette dans la prière comme une lumière sur ce que je vis. Elle révèle ou, plutôt, Dieu me révèle à moi-même à travers la prière. Il m’offre sa solidarité. Il partage ma joie ou ma peine.
Jésus insiste pour que nous retrouvions notre coeur d’enfant devant Dieu: «Si vous ne changez et ne devenez comme les enfants, non, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux. Celui-là donc qui se fera petit comme cet enfant, voilà le plus grand dans le Royaume des cieux.» (Matthieu 18, 3-4) Je veux bien être un enfant devant Dieu, mais sans pour autant me défaire de mes responsabilités. Je vais à Dieu en fils adulte qui rencontre son père. Je l’informe de ce que je deviens, je le consulte en reconnaissant en lui un interlocuteur privilégié et particulièrement éclairant. Mais, en définitive, il me revient de prendre mes décisions et de les exécuter.