Suspense apostolique
Les apôtres se réunirent auprès de Jésus et lui rapportèrent tout ce qu’ils avaient fait et enseigné. Alors Jésus leur dit : « Venez vous-mêmes à l’écart, dans un lieu désert et reposez-vous un peu. » De fait, les arrivants et les partants étaient si nombreux que les apôtres n’avaient pas même le temps de manger. Ils partirent donc dans la barque vers un lieu désert, à l’écart. À la vue de leur départ beaucoup comprirent, et de toutes les villes on accourut là-bas, à pied, et on les devança. En débarquant, Jésus vit une grande foule et il en eut pitié, parce qu’ils étaient comme des brebis sans bergers.
Commentaire :
Sollicitude de Jésus pour les siens, son attraction sur les foules et son amour, perception de ses vrais besoins et importance de l’enseignement, tous ces clichés sont ici pris sur le vif et exposés en quelques phrases. Quel narrateur que ce Marc ! C’était pourtant une recherche de solitude qui préoccupait le Maître et ses disciples, et voilà que tout devient mouvement, sorte de « rush » apostolique : « de toutes les villes », précise l’évangéliste.
Deux groupes évoluent au centre de la composition : les disciples et les foules. Les apôtres viennent rendre compte à Jésus de leur mission, et Jésus leur propose alors la solitude et le repos. Mais la foule accourt et Jésus s’apitoie sur elle. Le tout débouche sur la compassion et l’enseignement, suivi de la multiplication des pains. Tension entre le repos cherché et l’action missionnaire, ça ne laisse aucun répit. Que ceci ne nous prive pas d’un arrêt prolongé sur l’intérêt de Jésus pour ses disciples et le repos qu’il leur propose. Il y a ici plus qu’une historiette, nous devons percevoir un véritable message.
À noter dans l’évangile de Marc : rien ne se passe sans la présence des disciples. Après l’appel (1 : 16-20), les Douze ne quitteront la scène que le temps d’une mission, et durant ce temps, Marc ne dit mot de Jésus. Pourtant ce dernier ne cesse de resserrer les liens entre lui et ses disciples ; il les enseigne et les forme à l’abri des regards de la foule ( 4 : 35 – 5 : 43 ) avant les envoyer en mission ( 6 : 7-13). L’évangile doit être proclamé à tout l’univers, tel est l’œuvre de Jésus que les disciples devront continuer. Les traits qui suivent sont dignes de réflexion, ils battent le rythme apostolique. « Il y a un temps pour chaque chose…» (Qo. 3 ).
« Les apôtres se réunirent autour de Jésus ». L’évangéliste emploie ici pour une des rares fois sinon la seule, le titre d’apôtres pour désigner quelques disciples. Apôtres : chargés de mission, envoyés par Jésus, responsables de la mission continue. « Ils lui rapportèrent alors tout ce qu’ils avaient fait et enseigné. » Envoyés pour proclamer, les apôtres ont enseigné. L’un ne peut aller sans l’autre et c’est Jésus lui-même qui associe les apôtres à son enseignement. Continuité de la mission dans l’Église et non moins importance de l’enseignement.
À cette fin, les apôtres ont tout à apprendre de Jésus, mais le repos fait partie intégrante de cet apprentissage : « à l’écart, dans un lieu désert «. Marc veut sans doute souligner l’importance de la leçon que Jésus veut donner aux siens, loin de la foule, dans un lieu désert. Ce repos proposé, retraite dans l’intimité, deviendra source de relations plus étroites entre le Maître et ses disciples. Jésus les a en effet choisis « pour être avec lui et les envoyer prêcher » (3 : 14). Le rythme apostolique à l’école de Jésus doit comprendre action et repos. Lui-même recherche la solitude pour reprendre force et prier, et Jésus désire voir les siens adopter un même tempo. Après le succès de Capharnaüm, Jésus de bon matin, s’en va dans un lieu désert pour prier, solitude qu’il recherche constamment (1 : 45). Et la suite du récit de ce dimanche nous le montre en quête de solitude dans la montagne pour prier (6 : 46)
Sans doute, ce repos n’est pas toujours accessible, même pour Jésus et la retraite au désert ne le protégeait même pas de l’affluence des foules. Rappelons la rencontre de Jésus au puits de Jacob : fatigué de la route, Jésus cherchait un moment de repos et une femme survient pour puiser de l’eau… Jésus se doit à elle malgré sa fatigue. Dans l’évangile de Marc, c‘est bien la seule fois que l’on parle sérieusement de repos. L’auteur veut sans doute susciter réflexion, car il demeure que le repos est chose difficile, la mission commande, mais ce ne doit jamais être au point de laisser tomber ces moments d’intimité avec le Christ. Nous avons besoin d’apprendre de lui, et la prière à l’écart constitue le lieu par excellence.