Monde sans frontières
Jésus parcourait les bourgs à la ronde et enseignait. Il appelle alors le Douze et se mit à les envoyer en mission deux à deux, avec autorité sur les esprits impurs. Et il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route si ce n’est un bâton, ni pain, ni besace, ni menue monnaie pour la ceinture, mais : « Allez, chaussés de sandales et ne mettez pas deux tuniques. » Et il ajoutait : « Où que vous entriez dans une maison, demeurez-y jusqu’à ce que vous partiez de là. Et si un endroit ne vous accueille pas et que les gens ne vous écoutent pas, sortez de là et secouez la poussière sous vos pieds en témoignage contre eux. » Ils s’en allèrent prêcher le repentir ; ils chassaient beaucoup de démons et faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades et les guérissaient.
Commentaire :
L’envoi en mission occupe une place majeure dans l’évangile de Marc. Déjà annoncé ( 3 : 14) comme l’une des raisons du choix de Douze et leur institution, cette mission est présente tout au début du livre : « Je vous ferai pêcheurs d’hommes » (1 : 17). L’annonce de la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu signifiée par la pêche, tel est le mandat de Jésus auquel il a voulu associer les Douze. Cet évangile veut mettre en valeur la continuité de l’œuvre de Jésus, non seulement en Galilée, mais en faveur de foules immenses (3 : 7-12) et à travers les villes et villages (6 : 6), un monde sans frontières, quoi ! Les Douze accompliront les mêmes tâches que Jésus : ils proclameront, enseigneront, chasseront les démons et guériront les malades.
L’intérêt de cette page ne concerne pas que le passé, il concrétise l’actualité du rôle et de l’enseignement de Jésus ; il raconte la mission des Églises chrétiennes et l’usage d’envoyer des missionnaires deux par deux (Ac. 8 : 14 ; 13 : 2). On retrouve dans ce paragraphe le portrait des hérauts de la Bonne Nouvelle, le type même des « prédicateurs itinérants «. Marc insiste aussi sur le refus que devront affronter les envoyés. L’épisode précédent ce passage a certes influencé la pensée de l’évangéliste : Jésus affronte l’incrédulité dans sa patrie. Et si la légèreté du voyageur sans bagages est recommandée, c’est en vue du renoncement exigé de tout disciple de Jésus. La charge de prêcher l’Évangile et d’y demeurer fidèle devra être vécue en des conditions difficiles et demande dès lors de se délester de toute charge inutile. Dépouillement et adaptation constituent le portrait de quiconque veut suivre Jésus et tout sacrifier pour l’Évangile. Ainsi tout lecteur du livre devra appliquer à soi-même ce qui est dit des Douze, c’est question d’authenticité chrétienne et de fidélité à Jésus.
La mission des Douze signifie l’enracinement dans la vie et la volonté humaine de la charge devenue celle de l’Église : rendre témoignage au Christ. C’est pour cela que Jésus les a institués. Mais pour accomplir cette mission, il ne suffit pas seulement de parler et d’enseigner, il faut agir : chasser les démons et guérir les malades. Le Règne de Dieu ne vient pas en paroles seulement, mais des signes doivent en être donnés. Pour saint Paul, c’était la marque irrécusable de sa qualité d’apôtre du Christ ( Co. 2 : 1-5). L’évangélisation devient un combat victorieux contre les esprits impurs manifestés parmi les hommes comme une force d’opposition à la sainteté de Dieu et de son peuple. Dans le Nouveau Testament, on ne parle de démons qu’à l’occasion des effets néfastes qu’on leur attribue dans le domaine de la santé humaine. Le Fils de Dieu vient restaurer l’homme et le monde dans l’harmonie voulue par le Créateur. Dans ces pouvoirs accordés au Douze, l’Église entière doit reconnaître la puissance de l’évangile qu’elle doit porter aux hommes. La puissance de Jésus est remise à sa foi et à sa piété pour signifier par des réussites précises la re-création de l’homme dans le Christ ressuscité. Pour Marc, il ne s’agit donc pas simplement d’un renouvellement spirituel : l’Esprit signale sa présence dans le concret de la vie des hommes. La foi comme expérience de relations entre l’homme et Dieu doit avoir des répercussions sur l’équilibre individuel et social, et la santé des personnes et des groupes peut toujours être le terrain des signes de l’Évangile et un lieu pour notre foi.
Dans ce récit, l’Église doit aussi prendre conscience de son rôle universel. Aucune précision géographique et sociologique qui limite l’espace ou quelques groupes humains. Les Douze deviennent responsables de la présentation de l’Évangile à tous les hommes. Mais pour l’efficacité de cette mission, l’Église ne peut demeurer société fermée sur elle-même ou modèle de quelque type de société qui soit. En vue de cette mission, tout disciple doit être, dans l’esprit de Jésus, libre de toute attache et de tout bagage, et demeurer disponible jusqu’au sacrifice de soi. Dire et faire vont ici de pair.
Il ne s’agit pas d’imposer ici sa loi aux nations comme cela a pu se produire dans la conquête des pays d’Amérique latine. Sans violence ni colère, par la seule force de l’esprit, avec justice et vérité, éclairer les nations et leur apporter le salut. Un très beau texte du livre des Chroniques mérite d’être repris ici : « Même l’étranger qui n’est pas d’Israël ton peuple, s’il vient d’un pays lointain à cause de la grandeur de ton Nom, de Ta main forte et de Ton bras étendu, s’il vient et prie en ce temple, Toi, écoute du ciel où Tu résides, exauces les demandes de l’étranger afin que tous les peuples de la terre reconnaissent ton Nom et Te craignent comme fait Israël, ton peuple, et qu’ils sachent que ton Nom est attaché à ce Temple que j’ai bâti. » (2 Ch.6 : 32-33)
L’enseignement de Jésus fait objectivement et subjectivement craquer toutes les barrières du particularisme, sa doctrine s’adresse à tous les hommes sans distinction de race ; Dieu est le Père de tous, bons et méchants, et le prochain est désormais tout être humain. La semence de la Parole de Dieu doit pouvoir être répandue dans le monde entier. C’est pour cette mission universelle que le Christ prépare ses disciples : un monde sans frontières.