La guerre! La planète est sur le qui-vive. À quelque part, dans un pays _ un pays d’enfants déjà maltraités par le pouvoir local _, on bombarde de missiles sophistiqués des édifices et leurs villes. La planète est sur le qui-vive. Cela fait tout drôle d’utiliser l’expression «qui-vive» pour parler de mort et de ce qui ressemble à la mort.
La guerre a déjà été une occupation ordinaire, une activité parmi tant d’autres. Que de chefs d’état, dans les temps anciens, ont déclaré la guerre pour affirmer leur pouvoir, imposer leur puissance ou simplement pour occuper leurs soldats. Oui pour occuper leurs soldats! Le désoeuvrement était plus catastrophique que la guerre. Celle-ci était mauvaise à l’époque, mais c’était une occupation de loisir, une distraction, un moyen de rallier.
Que de rois, que d’empereurs ont lancé leurs troupes pour divers motifs. Des motifs inavouables comme de vouloir s’emparer d’un endroit stratégique ou d’un butin fabuleux. On faisait alors la guerre comme des brigands dévalisent les riches. Il existait aussi des motifs avouables: que de guerres ont eu lieu pour le seul motif de mobiliser le peuple, l’animer de patriotisme et développer sa fierté, forger son identité et assurer son appartenance. Les rois ont compris rapidement qu’on unit un peuple en l’entraînant dans un projet commun.
La mort faisait déjà des ravages. Des épidémies, des maladies raccourcissaient la vie. La mortalité infantile rendait banal le décès des petits. Quand un homme atteignait la cinquantaine, il avait fait l’exploit qu’on admire aujourd’hui chez nos centenaires. Dans ce contexte, mourir à la guerre paraissait être une mort glorieuse, moins gaspillée que les autres morts! Après les combats, les champs de bataille étaient jonchés de cadavres, mais ces cadavres méritaient les honneurs. Ils étaient morts pour la patrie.
Aujourd’hui, nous pouvons retarder la mort, l’éviter pendant un certain temps. Nous avons agrandi notre espérance de vie. La vie est devenue précieuse, à préserver avec soin. Donc, il faut tout faire pour repousser la faucheuse. Les médecins travaillent d’arrache-pied pour nous garder en santé.
Et la guerre rend la mort de moins en moins honorable. D’autant plus qu’elle tue généreusement. La guerre ne tue plus un soldat à la fois, mais une ville, un pays, un peuple d’un seul coup, en quelques heures, parfois en quelques minutes. Quand la bombe nucléaire a frappé Hiroshima, on a reconnu que, dorénavant, un peuple pouvait disparaître sous l’effet d’une seule bombe. Dorénavant, la guerre ratisse largement.
La guerre est donc devenue plus injuste qu’autrefois. De grands sages parlent d’échec pour l’humanité. Avec raison. Il existe dans tout être, même le plus maléfique, un coin de bonté, un jardin secret sur lequel nous pouvons compter pour abolir les murs, pour jeter des ponts. Nos motifs d’agir sont souvent les mêmes. Nous avons les mêmes soifs. Si nous prenions le temps de nous parler, nous pourrions puiser à la même fontaine et nous offrir mutuellement l’eau qui pourrait désaltérer nos soifs. Pour régler les conflits, même les plus grands, nous avons des outils, des moyens d’arbitrage, des règles de dialogue, des lois pour tracer la route vers les solutions.
Certains disent que la guerre doit être la dernière solution à un différent. Mais d’autres affirment qu’elle n’est jamais une solution. Elle aggrave plutôt. Elle amplifie la situation, la rend plus injuste même. Bref, elle assassine et elle assassine toujours… «La paix je ne l’impose pas. Je fonde mon ennemi et sa rancune si je me borne à le soumettre. Il n’est grand que de convertir et convertir c’est recevoir. C’est offrir à chacun, pour qu’il s’y sente à l’aise, un vêtement à sa mesure. Et le même vêtement pour tous. Car toute contradiction n’est qu’absence de génie.» (Antoine de St-Exupéry, Citadelle, Paris, Gallimard, 1948, p. 90)