Quand j’étais enfant, à l’église de mon village natal, nous avions l’habitude de distribuer la communion avant que la messe ne commence. Nous récitions le «Je confesse à Dieu». Puis, le prêtre distribuait la communion. Après cela, la messe commençait avec le chant d’entrée, l’Introït. Durant la messe, seul le prêtre qui présidait la célébration communiait au moment où normalement les membres de l’assemblée se seraient approchés de ce que nous appelions la «sainte table».
Nous n’étions pas la seule paroisse à agir ainsi. Un peu partout, c’était la coutume. Personne ne s’étonnait de cette façon de faire. C’était entré dans nos us et coutumes, dans notre théologie et notre catéchèse. Pour nous, l’eucharistie était essentiellement, ce que nous appelions la communion, c’est-à-dire un rite où nous mangions un morceau de pain qui avait reçu une consécration au cours de la messe. Nous croyions que ce pain contenait la personne du Christ, que le Christ était présent dans le pain. En le mangeant, il devenait présent dans notre coeur et même dans notre corps. Les théologiens parlaient de la présence réelle avec un mot difficile à prononcer pour l’enfant que j’étais: la «transsubstantiation».
Tout cela était vrai et l’est encore aujourd’hui dans la profession de foi de l’Église catholique. Mais, dans notre façon de penser alors, nous avions tendance à chosifier l’Eucharistie et même à verser dans une quasi-magie. Avant que le prêtre ne prononce les paroles de la consécration, Jésus n’est pas là. Après les paroles, il est là en chair et en os dans un peu de pain. Quelqu’un qui ne connaissait rien à la religion et qui nous observait pouvait penser que l’Eucharistie est une chose.
Nous avions oublié une vérité importante: l’eucharistie est avant tout une action. Le mot eucharistie veut dire d’ailleurs: action de grâce. Rien de figé, rien de passif, rien d’enfermé dans une chose. Mais plutôt une action, un processus, une démarche où ensemble nous célébrons le Seigneur qui est ressuscité d’entre les morts.
Une autre vérité importante demeurait dans l’ombre. La présence du Christ dans l’eucharistie ne se limite pas à la présence dans le pain et la coupe de vin. Le Christ est présent aussi dans la personne du prêtre. C’est toujours le Christ qui préside nos célébrations liturgiques. Mais certaines dimensions de cette présidence sont assumées par le prêtre. Certaines formules de prière ou de dialogue reviennent au prêtre pour manifester qu’il agit au nom du Christ. À travers certains dialogues que nous avons avec le prêtre, nous exprimons une certaine communion avec le Christ.
Le Christ est présent aussi dans la Parole de Dieu que nous proclamons au cours de la liturgie. Le quatrième évangile ne dit-il pas à propos du Christ: «Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous»! Nous écoutons cette Parole au cours de l’Eucharistie. C’est toujours le Christ que nous écoutons, même quand c’est une lettre de saint Paul, même quand c’est une lecture tirée de l’Ancien Testament. Jésus nous en donne un exemple dans sa rencontre avec les disciples sur le chemin d’Emmaüs: «En partant de Moïse et de tous les prophètes, il leur expliqua, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait». Accueillir la Parole de Dieu, c’est accueillir le Christ! Communier à la Parole de Dieu, c’est communier au Christ.
Enfin, le Christ est présent dans l’assemblée que nous formons. «Nous sommes le Corps du Christ», dit saint Paul. C’est particulièrement au cours de nos célébrations, surtout au cours de l’Eucharistie, que nous exprimons le mieux que nous sommes le Corps du Christ. Nous sommes ensemble. Nous écoutons ensemble la Parole de Dieu. Et cette Parole nous unit les uns aux autres. Elle nous pétrit comme le boulanger pétrit le pain. Elle nous soude les uns aux autres au point que le Christ vit dans l’assemblée que nous formons. Nous chantons ensemble et le chant nous unit et nous constitue en Église. Les pères de l’Église aimaient dire: «L’Église fait l’Eucharistie; mais l’Eucharistie fait l’Église également». L’Eucharistie transforme en Église le groupe que nous formons. En communiant les uns aux autres, nous communions au Christ. Ensemble, nous devenons une présence du Christ. Quand nous reprenons la prière du «Notre Père», nous communions à la prière du Christ et de toute l’Église. Quand nous échangeons la paix entre nous, c’est la paix du Christ qui nous harmonise les uns avec les autres. Quand nous disons «Amen» à la fin des prières, nous assumons ce qui vient d’être dit et nous l’assumons comme corps du Christ qui célèbre.
Il peut arriver qu’une communauté chrétienne ne puisse pas célébrer l’Eucharistie parce qu’elle n’a pas de prêtre ou pour toute autre raison. Elle devrait quand même se rassembler pour prier et pour partager la Parole de Dieu. Sa vitalité dépend de ses rassemblements. Elle ne pourrait pas garder son dynamisme si elle ne se rassemblait pas. Elle a besoin de communier non seulement au pain eucharistique mais aussi au corps qu’elle forme dans ses rassemblements, c’est-à-dire le corps du Christ. Elle a besoin de communier au Christ dans l’écoute commune de la Parole de Dieu. Que le Verbe se fasse chair dans la chair bien réelle des membres qui se rassemblent.
Nous devenons aussi une présence du Christ dans la société, une présence du Christ pour la ville que nous habitons. Quand le prêtre dit: «Heureux les invités au repas du Seigneur», il le dit non seulement pour nous qui sommes là, il le dit aussi pour tous les autres chrétiens et chrétiennes. Il le dit aussi pour toute la société croyante ou non, car notre rassemblement est offert par le Christ à toute l’humanité et pas seulement aux disciples que nous sommes déjà devenus. Le sang du Christ n’a-t-il pas été versé «pour vous et pour la multitude»?
Résumons: le Christ est présent dans notre assemblée de quatre façons différentes. Il est présent dans le pain et la coupe. Il est présent dans la personne du prêtre. Il est présent dans la Parole de Dieu que nous écoutons. Il est présent dans l’assemblée que nous formons. Si le Christ est présent comme sacrement dans le pain et la coupe, il n’est pas moins réellement présent dans l’assemblée que nous formons et dans la Parole que nous partageons.
Oui, il est grand le mystère de la foi. Il est tout entier exprimé dans la célébration de l’Eucharistie. Il est toujours exprimé, d’une façon ou d’une autre, dans tout rassemblement liturgique, qu’il soit eucharistique ou non. À travers ces multiples présences du Christ, nous faisons mémoire de sa passion, de sa mort et de sa résurrection comme le dit saint Paul et comme le répète la prière eucharistique. Souhaitons qu’au moins de temps à autre nous puissions dire comme les disciples d’Emmaüs: «Notre coeur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route, et qu’il nous faisait comprendre les Écritures?»