Genèse de la foi
Le lendemain, Jean Baptiste se tenait encore là avec deux de ses disciples. Fixant les yeux sur Jésus qui passait, il dit : « Voici l’agneau de Dieu. » Les deux disciples, l’entendant parler ainsi, suivirent Jésus. Jésus se retourna et vit qu’ils le suivaient. Il leur dit : « Que voulez-vous ? » Ils lui répondirent : « Rabbi ( ce mot signifie Maître ) où demeures-tu ? » – « Venez et voyez, » leur dit-il. Ils allèrent donc et virent où il demeurait et ils restèrent auprès de lui ce jour-là. C’était environ la dixième heure. André, le frère de Simon-Pierre, était l’un des deux qui avaient entendu les paroles de Jean et suivi Jésus. Il rencontre au lever du jour son frère Simon et lui dit : « Nous avons trouvé le Messie » c’est-à-dire le Christ. Il l’amena à Jésus. Jésus le regarda et dit : « Tu es Simon, le fils de Jean ; tu t’appelleras Céphas » – ce qui veut dire Pierre.
Commentaire :
Trois récits de vocation, voilà ce que présente la section d’où est tirée cet épisode : André et son compagnon (35-39), Pierre (40-42) et enfin Philippe et Nathanaël (43-51). Nous pourrions ré-écrire tout ce passage avec quelques simples mots : voir (38.39.46.47.48.51), venir et voir (39.46), fixer son regard (36.42), trouver (41.43.45), suivre (37.38.40.43) et demeurer (38.39). Chaque épisode de vocation est construit selon un schème identique ou presque, mais d’une très grande leçon pour chacun : témoignage de foi qui amène à la rencontre du Messie, rencontre qui débouche à son tour sur une confession de foi. Le point de vue était différent chez les autres évangélistes : seul le Christ a l’initiative de l’appel, et celui-ci impose au disciple une rupture avec son passé et un engagement au service d’un autre. Ici, chez Jean, c’est différent : un témoin, Jean baptiste (36), André (41) ou Philippe (45), proclame sa foi en Jésus. Suit alors l’entrevue et le contact personnel avec le Sauveur. Le nouvel élu atteste à son tour sa foi en la messianité de Jésus. Jean ne rapportera plus aucun autre récit de vocation ; il omettra l’institution des Douze et la mission. Pour les chrétiens de la fin du siècle, l’essentiel de la condition de disciple, c’est la foi, entendue comme adhésion à la personne du Christ et non à son ministère ou sa vie quotidienne.
QUE CHERCHEZ-VOUS ?
Cette parole de Jésus est la première dans l’évangile de Jean. Elle s’adressait à des disciples du Baptiste. Jean tenait à rappeler que les premiers disciples du Christ lui étaient venus du précurseur ; lui-même avait fixé son regard sur Jésus (36), comme Jésus fixera son regard sur Pierre (42). Le verbe fixer connote un intérêt, une attention spéciale ; c’est plus que le simple fait de voir, tel regard pénètre plus profondément que la vue. Dans la pensée de l’Église ancienne, Jean-Baptiste représentait l’aboutissement de la préparation à la venue du Messie, il récapitulait en lui toute l’attente, l’espérance d’Israël. Maintenant que le Christ est venu, le précurseur en devient le témoin et par son témoignage amènera au Christ ses premiers disciples. Le témoignage désormais va conduire à la foi. «Il vint pour rendre témoignage à la Lumière, afin que tous crussent en lui. » (1 : 7)
Immédiate fut la réponse de deux de ses disciples. Ils suivirent Jésus, s’attachèrent à un maître à penser, se firent « disciples de ». Ils le font dans une intention on ne peut plus honnête : pour « demeurer avec lui ». Jésus demande « Que cherchez-vous » tout en sachant bien ce que poursuivent ces deux hommes. Cette question pourrait s’adresser à chacun de nous, invité à révéler notre attente devant le Seigneur. « Venez et voyez » de leur dire Jésus. L’invitation dépasse, il va de soi, l’admiration béate d’un domicile; elle a pour objectif de vérifier la réalité qui doit fonder la foi. Le mystère plein d’attirance que représente Jésus. La question des disciples insinuait leur désir de pouvoir s’entretenir avec Jésus, demeurer eux-mêmes avec lui ; ils cherchent sa présence et veulent connaître sa personne, ils désirent une communion durable. A cette fin, un contact personnel avec Jésus est requis, converser avec lui, le connaître intimement, pour finalement adhérer à lui. « Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de Vie, nous vous l’annonçons afin que vous soyez en communion avec nous » (1 Jn 1 : 1-3). En Jean, chose assez surprenante même s’il retient la réflexion de Jésus à Thomas : « Bienheureux ceux qui croient sans voir », l’expérience sensible conditionne la foi.
DES HOMMES EN QUÊTE DE SENS
« Seigneur, où demeures-tu ? » La question des disciples n’est à prendre à la légère; elle trahit l’intériorité, une méditation assidue des Écritures antérieures, soit l’Ancien Testament. Jugeons-en par le comportement de Nathanaël assis sous le figuier, sans doute en réflexion sur l’attente d’Israël et le sens des Écritures. Dans la suite de l’évangile, nous serons à même de voir à quel point les disciples ont du décanter le contenu de leur attente du Messie. L’essentiel, ce premier jour, était leur attente. S’ils n’avaient rien espéré, rien cherché, ils n’auraient rien trouvé ; ils seraient demeurés assis sur le bord de la route alors que Jésus passait. Jésus va les prendre tel qu’ils sont et avec patience et tendresse, leur dévoiler peu à peu le mystère qu’il vient révéler.
Il est étonnant de voir à quel point Jésus n’a pas tenu école sous les portiques du temple, entre des murs, mas le long des routes. « Je suis le chemin », et il l’était non seulement comme un point de repère, mais comme un homme en marche : « J’ai d’autres brebis qui ne font pas encore partie du bercail … » Une religion entre les murs devient une forteresse, une prison et peut difficilement devenir un foyer. Comment rejoindre les hommes dans leur cheminement sans prendre leur route quelle qu’elle soit : toute forme virtuelle de communication constitue pour notre temps une route à ne point négliger.
Nous vivons dans un monde où nos frères et sœurs ont perdu le sens de leur vie et ne semblent plus en mesure de le découvrir ou d’en accepter un d’où qu’il vienne. Après avoir abondamment parlé de la « mort de Dieu », c’est de sa résurrection dont nous parlons aujourd’hui, de ce retour en force de Dieu dans notre monde matérialiste. Même s’il ne s’agit pas encore de foi, il s’agit d’une faim de l’homme par rapport au sens de la vie, à moins qu’ils ne soient anéantis par trop de misères ou trop de richesses. C’est dans leur vie quotidienne que Dieu va les rejoindre, à condition qu’il y ait des témoins capables de partager leur foi et leur découverte du sens de la vie en Jésus. « Nous avons trouvé », voilà ce que les pauvres attendent de nous. Des témoins capables d’engendrer d’autres témoins. Telle est la genèse de la foi.