Le cinéma, surtout le cinéma des États-Unis, nous a inondés de films de cow-boys pendant de nombreuses années. Ces chevaliers des déserts américains soulevaient la poussière sur leur passage, laissant derrière eux une impression de puissance. Les bons cow-boys étalaient le bien sur le grand comme le petit écran pendant que les bandits et les indiens paraissaient tous comme d’abominables monstres sans foi ni loi. D’un côté toujours le bien; de l’autre uniquement le mal.
Le tableau était simpliste, très simpliste. Il divisait l’univers en deux camps: les bons et les méchants. Évidemment, les bons nous ressemblaient; ils étaient de notre côté. Quant aux méchants, ils incarnaient nos ennemis.
Avec les années, le cinéma s’est raffiné. Il fallait faire des nuances pour correspondre un peu plus à la réalité. Les artisans du septième art se sont mis à camper des personnages plus complexes, dans des situations tricotées plus serrées. Après tout, le bien n’est pas réservé exclusivement à certaines catégories de personnages et le mal pouvait facilement se remarquer dans tous les clans.
Les cinéphiles ont-ils suivi? Avons-nous adopté la perception des choses que le cinéma et la télévision nous proposaient? Parfois, j’ai l’impression que nous en sommes restés aux premières générations de films. Devant les menaces, l’ennemi est demeuré le bouc qui porte tous les péchés de la terre. Nous réagissons pour nous protéger. Nous nous offusquons aussi: après tout, la perfection est profanée quand nous sommes maltraités!
Nous réagissons ainsi sur le plan personnel. Souvent. C’est malheureusement vrai aussi pour les gouvernants et les nations. Ai-je besoin de pointer du doigt les images et reportages des journaux et des bulletins de nouvelles télévisés? Ceux-ci étalent des propos de cow-boy, des appels à la guerre contre tous les satans qui risquent d’attaquer les purs et les saints que nous sommes?
Heureusement, se lèvent présentement des voix qui ne chantent pas la même chanson. On résiste aux menaces de guerre. On refuse de sombrer dans le belliqueux. Signe de santé sur une planète qu’on pense parfois plutôt déboussolée. Signe de santé que des hommes et des femmes réagissent au nom de la raison, fassent appel à l’intelligence et à la sagesse humaine, s’appuient sur une volonté ferme de dialoguer avec l’autre, manifestent une confiance solide dans les ressources intérieures des individus et des sociétés. «Faut s’parler!», dit un vieux slogan québécois. Il y a au fond de chaque humain un trésor de bonté, un brin de sagesse qui ne demande qu’à s’exprimer. Ce brin peut faire toute la différence.
La violence peut contraindre les corps sans pour autant changer les coeurs. La non-violence fait appel à la raison. Elle séduit d’une séduction qui touche le meilleur de l’humain. C’est souvent un risque et un défi, mais l’avenir n’est pas possible autrement.
«Lorsque les hommes se haïssent, n’écoute point l’exposé imbécile des raisons qu’ils ont de haïr. Car ils en ont bien d’autres, encore, que celles qu’ils disent, et auxquelles ils n’ont point songé. Ils en ont tout autant de s’aimer. Et tout autant de vivre dans l’indifférence. Et moi qui ne m’intéresse jamais aux paroles, sachant que ce qu’elles charrient n’est que signe difficile à lire, de même que les pierres de l’édifice ne montrent ni l’ombre ni le silence, de même que les matériaux de l’arbre n’expliquent point l’arbre, pourquoi me serais-je intéressé aux matériaux de la haine? Ils la bâtissent comme un temple avec les mêmes pierres qui leur eussent servi pour bâtir l’amour.» (Antoine de ST-EXUPÉRY, Citadelle, Paris, Gallimard, 1948, p. 83)