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Parole et vie,

Responsable de la chronique : Dominique Charles, o.p.
Parole et vie

30e Dimanche du temps ordinaire. Année A.

Imprimer Par Jacques Sylvestre, o.p.

Grand catéchisme

Apprenant qu’il avait fermé la bouche aux Sadducéens, les Pharisiens se réunirent en groupe, et l’un d’eux lui demanda pour l’embarrasser : « Maître, quel est le plus grand commandement de la Loi ? » Jésus lui dit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit : voilà le plus grand et le premier commandement. Le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. A ces deux commandements se rattache toute la loi, ainsi que tous les Prophètes. »

Commentaire :

Ce passage de Matthieu ne peut certes revendiquer une place prépondérante dans l’Évangile, mais il a tout de même le mérite de récapituler toutes les règles de morale chrétienne et de résumer le contenu de la foi en Jésus. Saint Paul écrivait aux Romains : « L’amour est l’accomplissement de la loi. « Rom. 13 : 10) Et c’est à ce fil unique que se rattachent toute la Loi et les Prophètes. Bien que cruciale pour le Juif contemporain de Jésus, la question, comprise par Marc (12 : 28-34) et Luc (10-25-28) comme le souci d’un homme avide de directive pour sa conduite personnelle, Matthieu l’interprète comme une tentative malveillante pour mettre le Seigneur dans une situation fâcheuse.

Pareille intention divergente des évangélistes met-elle en question l’historicité de l’épisode ? Rappelons une fois encore que les évangélistes ne sont pas des chroniqueurs historiques. La vision apostolique de chacun et la situation particulière de leur communauté locale ont influencé leur composition. Un peu comme pour un montage réalisé à partir d’une collection de diapositives dans laquelle on fait des choix. Matthieu pour sa part ne tente nullement de faire le procès du judaïsme de son temps ou de juger les Pharisiens et compagnie, il nous rapporte simplement ce qui lui semble important aux yeux de Jésus, attitudes et institutions que certains rejetaient d’emblée. Il voulait faire comprendre à ses auditeurs judéo-chrétiens la racine du conflit qui opposait la communauté chrétienne et les groupements juifs, certaines déviations au sein de l’Église et non moins la résurgence de l’esprit pharisien.

AU TEMPS DE L’ ÉGLISE MATTHENNE

Cette page de Matthieu raconte un dernier assaut de la part des Pharisiens dans l’espoir de trouver motif à accuser Jésus pour se débarrasser de ce Messie gênant et encombrant. Toutes les tentatives précédentes avaient échoué. Devant les réponses de Jésus, « surpris, ils s’en allèrent. » (22 : 15-22) Et cette dernière tentative pour le prendre en défaut leur vaudra une réponse plus rigoureuse et désarmante. Jésus lui-même prend alors l’initiative du procès : « Quelle est votre opinion au sujet du Christ ? De qui est-il le Fils ? Incapable de lui répondre, nul n’osait plus l’interroger. » (22 : 41-45)

Luc ignore cet épisode et la réponse plutôt décevante car on se croirait au « petit catéchisme. » La réponse de Jésus s’inspire de l’Ancien testament (Dt. 6 : 5 et Lv. 19 : 18) L’apôtre Jean l’avoue lui-même « Ce n’est pas un commandement nouveau que je vous écris, mais un commandement ancien. » (1 Jn. 2 : 7) Quel peut-être alors l’objectif de l’évangéliste Matthieu et du récit qu’il en donne ?

Un pharisien agressif, l’un de ceux que tout au cours du chapitre suivant de l’Évangile (Mat. 23e), Jésus va abondamment stigmatiser et contre lesquels il met la foule en garde, les Pharisiens, gardiens de la Loi, pose la question : « Quel est le plus grand commandement ? » Question controversée. La synagogue ne comptait pas moins de 613 préceptes, 248 commandements et 365 interdictions, les uns légers, les autres graves. On se demandait s’il n’y avait pas parmi ces préceptes un commandement susceptible d’englober tous les autres, le premier. Le légiste voudrait bien connaître la position du délinquant Jésus sur un sujet aussi brûlant. Car Jésus a transgressé la Loi du sabbat, l’un des plus grands commandements sinon le plus grand. De plus, il a des contacts avec les pécheurs et les publicains, transgressant ainsi l’un des préceptes les plus graves. Bien plus, Jésus ira jusqu’à prétendre que tant sa conduite que sa prédication souvent contraires à la Loi révèlent que le Royaume de Dieu est déjà présent. Pourtant, Jésus est considéré comme un juif pieux, assidu à la synagogue et au Temple les jours de fête. Et dans son discours parfois critique, il respecte la Loi et les Prophètes : « Je ne suis pas venu abolir la Loi, mais l’accomplir, » et il est venu chercher et sauver ce qui est perdu, le but ultime de la loi.

Pour saisir le sens profond de cet épisode, il importe de lui donner comme fond de scène le Sermon sur la montagne et le texte sur le jugement denier. ( 5 – 7 et 25 : 31-46) La loi de la montagne (Mat : 5 – 7) ne débute pas en prescrivant d’adorer et de servir Dieu ; au contraire, apporter le salut et la délivrance aux autres constitue la toute première mission du disciple. « Tout ce que vous désirez que les autres fassent pour vous, faites-le vous-même pour eux : voilà la Loi et les Prophètes (7 : 12) Jésus s’est tellement rendu solidaire des parias de la société et des opprimés que tout engagement en vue de leur libération constitue le seul critère de notre relation sincère avec Dieu. La description du jugement dernier au chapitre 25e corrobore l’importance primordiale de cet enseignement.

Pour Matthieu, deux commandements égaux et d’égale valeur constituent donc la norme selon laquelle tous les autres doivent être appréciés. Aucune exigence divine ne doit aller et ne peut aller contre l’intérêt du prochain. La position de l’évangéliste est on ne peut plus radicale. « Si quelqu’un dit : j’aime Dieu et déteste son frère, c’est un menteur » proclamait-on dans les milieux apostoliques. (1 Jn. 4 : 20 et Rm. 13 : 8-10) Nulle part le N.T. ne résume le devoir primordial de l’homme par ces mots : « Aime Dieu », mais il résume toute la loi en disant : « Aime ton prochain comme toi-même. » C’est là l’ébauche de toute la théologie chrétienne à l’encontre du point de vue des Pharisiens. Il s’agit ici d’une question essentielle et ce sera la dernière que l’on posera à Jésus.

POUR L’ÉGLISE AUJOURD HUI

Pour l’évangéliste, la volonté de Dieu n’est pas définie dans un certain nombre de textes législatifs à observer ; nous pouvons et devons lire cette volonté dans les yeux des hommes qui nous entourent. L’homme doit être fondamentalement possibilité de réponse à l’autre ; ce qui est utile et salutaire au prochain constitue la volonté divine, la norme de la vie théologale, ecclésiale ou sociale proclamée au nom de Dieu. Toute séparation ou cloisonnement entre les humains va à l’encontre de la volonté divine. (22 : 34-40) Donc, tout groupe convaincu de tenir le bon bout ou vivant à l’écart des autres est à condamner et tout genre d’extermination humaine est depuis Matthieu blasphématoire. Nul ne doit mettre d’obstacle sur le chemin d’autrui. D’ailleurs, « Ce que tu veux que les autres fassent pour toi » est inclus dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, signé par tous les états membres de l’ONU. L’évangile nous appelle à croire à un monde humain nouveau et à le construire chaque jour. C’est alors que nous pourrons proclamer que « le monde a vraiment changé » , non parce que la peur ou l’insécurité habite ses entrailles, mais parce que l’amour habite son cœur.

La réponse de Jésus au Légiste a donc plus d’impact qu’une simple réponse de petit catéchisme, c’est du grand catéchisme.

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