Beaucoup mais peu
Jésus se mit à leur parler en paraboles : « Il en va du Royaume des Cieux comme d’un roi qui fit un festin de noces pour son fils. Il envoya ses serviteurs convier les invités à la noce, mais eux ne voulaient pas venir. De nouveau, il envoya d’autres serviteurs avec mission de dire aux invités : Voyez ! J’ai apprêté mon banquet, mes taureaux et mes bêtes grasses ont été égorgées, tout est prêt, venez aux noces. Mais eux, n’en ayant cure, s’en allèrent, qui à son champ, qui à son commerce ; les autres s’emparèrent des serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent. Le roi fut courroucé et dépêcha ses troupes qui firent périr ces meurtriers et incendièrent leur ville. Alors il dit à ses serviteurs : La noce est prête, mais les invités n’en étaient pas dignes. Allez donc aux départs des chemins, et conviez aux noces tous ceux que vous pourrez trouver. Les serviteurs s’en allèrent par les chemins, ramassèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, les mauvais comme les bons, et la salle de noce fut remplie de convives. Le roi entra alors pour examiner les convives, et il aperçut là un homme qui ne portait pas la tenue de noce. Mon ami, lui dit-il, comment es-tu entré ici sans avoir une tenue de noces ? L’autre resta muet. Alors le roi dit aux valets : Jetez-le pieds et poings liés, dehors, dans les ténèbres ; là seront les pleurs et les grincements de dents. Car beaucoup sont appelés, mais peu sont élus. »
Commentaire :
Une fois encore, tentons de rejoindre la pensée de l’évangéliste Matthieu et son souci de présenter aux chrétiens de son temps une parole vivante qui soit à la fois l’écho de la prédication du Christ et une réponse aux préoccupations actuelles de l’Église. La parole de ce dimanche reste profondément valable pour notre temps. Cette parabole des invités à la noce fait partie d’un groupe de trois qui ont en commun une pointe polémique : on reproche aux dirigeants juifs leur refus de Jésus et de son message. Nous assistons à une série de passes d’armes, brèves mais significatives : controverses sur le pouvoir de Jésus, l’impôt du à César, l’éventualité de la résurrection, le plus grand commandement et l’identité du Messie, fils et Seigneur de David.
Pour réaliser les adaptations subies par les enseignements du Seigneur dans leur transmission aux églises primitives par les évangélistes, comparons le récit de Matthieu avec celui de Luc. (14 : 16-24) L’un et l’autre récit comportent un fond commun, mais les différences sont importantes. Matthieu met en scène un roi, alors que Luc parle d’un homme. Deux invitations constituent la trame du récit de Matthieu, la première engendre un refus général, la seconde comporte des raisons de ne pas venir. Le cas des serviteurs maltraités, la colère du roi et ses représailles lui sont propres. Mais on trouve chez Luc et chez Matthieu des identités substantielles : une première invitation au repas refusée, et une seconde adressée aux passants sur les chemins. Nous trouvons là certes l’enseignement authentique de Jésus concernent la défense et la justification de l’Évangile. Ceux auxquels il était destiné, les gens pieux, les savants et les chefs religieux ne l’accueillent pas, tandis que le petit peuple, les marginaux lui font bon accueil. « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs » avait un jour proclamé Jésus. (Mt.9.12-13) La parabole justifie donc sa conduite vis-à-vis les pécheurs et condamne le scandale des dirigeants.
AU TEMPS DE MATTHIEU
Chez Matthieu, soucieux d’évangéliser son église, deux centres d’intérêts composent la parabole : les invités au festin (12-10) et l’invité sans vêtement de noce (11-13). L’ajout de l’invité sans la robe nuptiale touche sans doute la préoccupation de pureté et de sainteté de la communauté chrétienne. De tout temps, des messagers sont envoyés par Dieu vers son peuple mais le message n’est pas accueilli. Ce refus de l’Évangile expose à des conséquences terribles. Pour remplir la salle du festin, Jésus envoie donc ses messagers aux croisées des chemins inviter et rassembler ceux qui s’y trouvent, les mauvais comme les bons. Or il se trouve dans l’assistance un homme non revêtu du vêtement convenable pour la fête. Cela pose question : comment imaginer que les invités ramassés ici et là aient eu le temps de changer d’habit ? « Mon ami ! » dit le maître au malotru. Autant la générosité de l’hôte avait été grande, autant sa réaction sera brutale. L’invité mal vêtu est rejeté, exclu, livré au désespoir, parce qu’il a cru pouvoir entrer dans le Royaume à bon compte.
« Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus. » Cet avertissement général ne cadre pas ou si peu que pas avec l’ensemble de la parabole : beaucoup d’appelés, mais peu d’élus devient en réalité dans la parabole « beaucoup d’appelés et beaucoup d’élus, » sauf un seul. L’appel au salut absolument universel ne garantit pas la réponse de l’homme qui se doit d’être totale et permanente. Deux enseignements émergent de la parabole : le comportement divin au regard de la nouvelle situation instaurée dans le monde par la venue du Règne de Dieu. Les dirigeants juifs refusent, alors le petit peuple et les païens, passants d’un jour, sont invités à entrer en masse dans le Royaume. D’autre part, il ne suffit pas d’être appelé pour avoir la garantie de salut, il faut surtout accomplir les œuvres réclamées par la nouvelle justice du Royaume.
POUR NOUS
Cette parabole des invités à la noce constitue une interpellation actuelle, un appel à la foi et à l’action. L’Eucharistie devrait toujours prendre l’allure d’un banquet de fête auquel nous sommes conviés, nous, indignes, venus de tous les coins, et nous devrions, comme Paul y invitait les Romains, contempler avec émerveillement la grâce et le dessein de Dieu : « On a coupé les branches pour que moi, je fusse greffé. » (Rom. 11 : 17-24) Et la tenue de mise est celle recommandée par le sermon sur la montagne. (5 à 7 : 29) Il importe de faire la volonté du Père pour avoir part à cette grande fête du salut et non seulement avoir été baptisé. La parabole suscite la joie et l’action de grâce, mais invite non moins à l’examen.
C’est vraiment toute l’histoire du salut que déroule cette parabole, depuis l’appel lancé par les prophètes jusqu’au jugement dernier. (He. 1 : 1 ) A l’infidélité des Israélites suit la perversité des contemporains de Jésus. Quelle expérience Matthieu vit-il au sein de sa communauté primitive ? Nous sommes en plein dynamisme missionnaire d’une Église en pleine expansion. La promesse des origines ne peut suffire, la vigne doit produire ses fruits. (Jer.2 ) Il ne suffit pas de faire partie de l’Église ou d’être baptisé pour participer aux joies de la fête, il faut encore vivre selon la charte du Sermon sur la montagne. La tentation de prendre sur l’éternité une assurance tous risques est grande et non moins toujours actuelle. Voilà qui explique le sévère avertissement donné par le Seigneur : beaucoup sont appelés, mais peu sont élus.