Dire et faire
« Dites-moi votre avis. Un homme avait deux fils. S’adressant au premier, il lui dit : « Mon enfant, va aujourd’hui travailler à ma vigne. » – « Je ne veux pas » répondit-il ; mais plus tard, pris de remords, il y alla. S’adressant au second, il lui dit la même chose ; l’autre répondit : « Entendu, Seigneur » mais il n’y alla point. Lequel des deux a fait la volonté du Père ? » – « Le premier » répondent-ils. Jésus leur dit : « En vérité, je vous le dis, les publicains et les prostituées arrivent avant vous au Royaume de Dieu. En effet, Jean est venu à vous dans la voie de la justice, et vous n’avez pas cru en lui ; les publicains, eux, et les prostituées ont cru en lui alors que vous, devant cet exemple, vous n’avez même pas eu un remord tardif qui vous fit croire en lui. »
Commentaire :
Le dernier verset ne ferait pas à proprement parler partie de la parabole ; «En vérité je vous le dis … » ajouterait une explication sans rapport avec la parabole, ce serait une pièce rapportée. Oublions-le pour un moment et concentrons toute notre attention sur la parabole. Quel peut être d’une part le sens de l’histoire dans l’intention de Jésus, et d’autre part quel sens contextuel a voulu lui donner l’évangéliste incluant le verset 32e.
SENS DE JÉSUS
La parabole met en contraste deux fils et la conduite du premier donne du relief à la culpabilité du second. La pointe de la parabole semble polémique. On devine que Jésus s’adresse à des gens dont la conduite est représentée par l’attitude du fils qui n’obéit qu’en paroles, que contredisent les actes consécutifs. On se rappelle combien en Israël, l’obéissance ne se résumait pas en belles paroles, mais dans l’accomplissement effectif des volontés divines. « Le Seigneur se plaît-il aux holocaustes et aux sacrifices comme l’obéissance à la parole du Seigneur ? Oui, l’obéissance est autre chose que le meilleur sacrifice, la docilité autre chose que la graisse des béliers, » enseignait le prophète Samuel à Saül qui n’en faisait qu’à sa tête. (1 S. 15 : 22) Le point de vue chrétien ne diffère nullement : « Ce ne sont pas ceux qui disent Seigneur, Seigneur ! qui entreront dans le Royaume des cieux, mais celui qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux. » (Mt.7 : 21) Et l’apôtre Jean de préciser : « Petits enfants, n’aimons pas en paroles ni de langue, mais en action et en vérité. » (1 Jn. 3 : 18) La parabole rappelle l’enseignement traditionnel qui oppose le « faire » et le « dire » .
Mais l’effet surprise suit l’explication hors de l’ordinaire, il concerne les publicains et les prostituées. Comment expliquer cet ajout ? Les auditeurs de Jésus devaient sans doute être les soit disant « justes » qui observaient les commandements de Dieu et toutes les prescriptions de la Loi. Ces « justes » étaient convaincus de dire oui à Dieu, et à leurs yeux, les pécheurs étaient ceux qui refusaient les commandements et ne semblaient nullement disposés à changer de conduite. Ces présumés justes identifiaient la volonté de Dieu avec les prescriptions de la Loi juive. Or Jésus refuse pareille identification ; pour lui, la volonté de Dieu ne se confond pas avec la Loi, mais elle coïncide avec le message évangélique et l’appel à la conversion qui ouvre l’accès au Royaume de Dieu. Les « justes » se dérobaient à cette exigence décisive, leur propre justice constituait leur sécurité et c’est pourquoi ils récusaient l’appel divin
Jésus définit donc ici l’obéissance à Dieu en fonction du message qu’il proclame, et l’entrée dans le Royaume dépend de l’attitude de chacun à l’égard de ce message. La parabole des deux fils ressemble à celle des invités au festin qui, tout invités qu’ils soient, ne s’y rendent point. (22 : 1-10) La sentence d’exclusion de ces « justes » à l’encontre des publicains et des prostituées reposent sur le fait qu’ils sécurisent leur conscience à partir de l’observance de la Loi et négligent d’accomplir la volonté de Dieu présentée par Jésus. Les publicains et femmes de mauvaise vie ont su reconnaître la volonté de Dieu et s’y convertir.
SENS CHEZ MATTHIEU
Le sens de la parabole chez Matthieu découle de son rapport avec ce qui précède et de ce qui suit. En 21 : 23-27, au Temple, les grands prêtres et les anciens du peuple avaient demandé à Jésus : « Par quelle autorité fais-tu cela ? Qui t’a donné cette autorité ? » Et Jésus de répondre par une question : « Le Baptême de Jean d’où était-il, du ciel ou des hommes ? » C’était de la part de Jésus tendre un piège à ses adversaires. Et la parabole des deux fils vient comme une condamnation des dirigeants juifs qui n’ont pas voulu croire en Jean : « Jean est venu à vous dans la voie de la justice, et vous n’avez pas cru en lui ; les publicains et les prostituées, eux, ont cru en lui. » (32)
La parabole des vignerons homicides que nous proclamerons dimanche prochain, développe le même thème : refus de croire à la mission divine du Baptiste, et rébellion constante contre l’envoyé de Dieu. L’objet de la parabole sera de montrer que l’obéissance ne consiste pas à dire oui, mais à faire ce qui est demandé. La volonté divine ne peut se confondre avec une série de règles qu’il suffirait d’observer. L’obéissance est réponse personnelle à Dieu qui appelle et exige de manière parfois imprévisible. Et cette obéissance à Dieu ne devient possible que grâce à la reconnaissance par la foi de sa volonté manifestée dans la parole de ses envoyés. La foi est première, elle commande et explique l’obéissance. C’est la foi qui nous permet de découvrir la volonté divine qui interpelle.
Pour nous, il fait toujours bon de nous rappeler que la fidélité au Christ et à l’évangile ne se résument point dans de simples formalités juridiques ou légales. Chacun doit aller jusqu’au bout de sa grâce, là où Dieu l’appelle en utilisant la loi comme balise pour un cheminement plus personnel. « L’homme n’est pas fait pour la loi, mais la loi est faite pour l’homme. » Le dire et le faire, tout réside en ces deux mots.