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Parole et vie,

Responsable de la chronique : Dominique Charles, o.p.
Parole et vie

20e Dimanche du temps ordinaire. Année A.

Imprimer Par Jacques Sylvestre, o.p.

Le non de Dieu

Sortant de Capharnaüm, Jésus se retira dans la région de Tyr et de Sidon. Or, voici qu’une Cananéenne, sortie de ce territoire, se mit à lui crier : Aie pitié de moi, Seigneur, Fils de David : ma fille est fort malmenée par un démon. Mais Jésus ne lui répondit pas un mot. Ses disciples, s’approchant, le sollicitaient : Fais-lui grâce, car elle nous poursuit de ses cris. A quoi, Jésus répondit : Je n’ai été envoyé que pour les brebis perdues de la maison d’Israël. Mais la femme était arrivée et se tenait prosternée devant lui en disant : Seigneur, viens à mon secours ! Il lui répondit : Il ne sied pas de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens. – De grâce, Seigneur, reprit-elle, les petits chiens ne mangent-ils pas les miettes tombées de la table de leur maître. Alors Jésus lui répondit : O femme, que ta foi est grande ! Qu’il t’advienne selon ton désir ! Et de ce moment sa fille fut guérie.

Commentaire :

Arrive-t-il vraiment à Dieu de dire NON à nos demandes ? Relisons l’histoire.

Le temps passe et ce temps relâche quelque peu les restrictions de Jésus : Je n’ai été envoyé que pour les brebis perdues de la maison d’Israël. (Mt. 15 : 24) Au moment de l’envoi de ses disciples en mission, Jésus leur avait donné la consigne : N’allez pas vers les païens et n’entrez pas dans la province des Samaritains ; allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël. (Mt.10 : 5-6) Le temps a passé et depuis la vision de Pierre et son discours chez Corneille (Ac.10), une ouverture se fait de plus en plus béante vers les païens, la foi se déverse sur ce monde. L’apôtre Paul tentera une explication de cette mission en terre païenne : De même que jadis vous (les païens) avez désobéi à Dieu et qu’au temps présent vous avez obtenu miséricorde grâce à leur désobéissance… Il s’agit des Juifs. (Rom. 11 : 30) L’apôtre écrivait aux Galates : Quand Celui qui dès le sein maternel m’a mis à part et appelé par sa grâce daigna révéler en moi son Fils pour que je l’annonce parmi les païens… (Ga. 1 : 15)

OUVERTURE À LA FOI DU MONDE PAÏEN

La section 14 : 13 à 16 : 12 de l’évangile de Matthieu annonce l’ouverture de la foi au monde païen et l’accès de celui-ci aux biens éternels. De l’épisode concernant la Cananéenne, Matthieu nous fait un récit liturgique. Le titre de femme adressé à l’étrangère et la prière de celle-ci rappelle simultanément un monde passé mais religieux et l’insistance de Jésus sur la grande foi de la femme. L’évangéliste Matthieu emprunte à Marc (Mc.7 : 24-30) un récit anecdotique qu’il sert comme une leçon d’ouverture d’esprit et de grâce à ce petit monde judéo-chrétien qu’il tente à l’encontre des judéo-chrétiens d’accueillir dans ses communautés. On pourrait joindre à cette catéchèse le récit du serviteur du centurion. (Mt. 8 : 5-13) L’épisode de la Cananéenne est construit autour du dialogue entre Jésus et la femme, précédé d’une introduction et suivi de la constatation du miracle, l’un et l’autre présentés simplement, mais de nature à mettre en lumière l’ampleur du récit. La rencontre a lieu aux confins de la frontière entre les territoires israélien et païen. Jésus croise sur la route une étrangère dont la fille est possédée par un démon, et les cris de celle-ci exaspèrent les disciples.

TERGIVERSATIONS DE JÉSUS

La prière de la mère vaut un bon temps d’arrêt : elle illustre la foi d’une païenne (non-juive) pour qui la maladie de sa fille était due à l’influence d’un mauvais esprit. Devant le refus de leur Maître d’exaucer la prière de la femme, les disciples interviennent : Renvoie-la ! Jésus adopte alors une attitude des plus rigide : J’ai été envoyé aux brebis perdues de la maison d’Israël. Les Juifs constituaient alors le noyau de la synagogue appelée à devenir la communauté chrétienne, les païens étaient laissés pour compte. Il demeure difficile d’attribuer à Jésus pareille réflexion ; supposons qu’elle définissait plutôt l’exclusivité bien naturelle des premières communautés chrétiennes, constituées exclusivement de juifs, attitude de refus que l’auteur du premier évangile conteste dans cette catéchèse.

La femme revient à la charge. Alors Jésus se place à son niveau, avec des mots simples et imagés : les Juifs sont considérés comme les enfants du Royaume alors que les païens ne sont que les chiens, chiens domestiques si l’on veut, petits chiens . La femme réplique et reprend l’image pour forcer l’intervention de Jésus. Admirable contestation, comparable à la prière du centurion de Capharnaüm. (8 : 5-13) Jésus cède alors à la grande foi de l’étrangère, une foi vivante capable d’extorquer une participation aux biens jusqu’ici réservés à la race élue.

TENSIONS DE NOTRE MONDE ACTUEL

L’ouverture de l’Évangile au monde païen constitue la pointe du récit. L’église de Matthieu devait alors vivre une tension marquée entre un christianisme judéo-chrétien strict et un christianisme pagano-chrétien. Pour l’évangéliste, lui-même juif, les privilèges du peuple élu sont désormais accessibles aux païens ; la foi peut frayer aux étrangers un chemin vers le Christ.

Nous sommes appelés, ce dimanche, à attiser notre sens de l’universalisme tel que revendiqué et rêvé par les hommes généreux de notre temps, l’égalité des droits pour tous, la dignité identique de tout être humain. Notre monde aspire à la fraternité universelle et la Parole de Dieu nous invite à cet universalisme tout autrement que la sagesse humaine. Ce ne sont pas des principes universels qui sont ici proclamés, mais une grâce qui secoue l’histoire de l’humanité et tente d’impliquer tous et chacun de nous, nous rappelant ce que nous avons à faire pour y travailler efficacement. Il est vrai que les voies de Dieu nous demeurent mystérieuses : le choix des uns et le renvoie des autres. Mais de fait, c’est Jésus que Dieu a choisi pour réaliser cette unité entre les humains, et si le choix comme les ruptures marque inévitablement nos relations humaines, la grâce nous pousse vers des réconciliations, l’unité est toujours à faire. Jésus nous en trace ici les voies lorsqu’il franchit les frontières de la Palestine et étend aux étrangers les privilèges des siens. Et c’est au milieu de cette histoire et de ce temps marqués par des choix et des ruptures, qu’il ouvre les voies de la réconciliation et de l’universalisme. La grande histoire de toute pastorale, qu’il s’agisse de la demande des sacrements par des incroyants, de chrétiens marginalisés par l’Église ou du désir d’inter communion entre frères séparés…

Femme, ta foi est grande ! Voilà comment il devient possible de transfigurer les non de Dieu à qui Le prie, en des oui , prières de foi auxquelles le Christ lui-même n’a pu résister.

Parole et vie

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