Secret bien gardé
En ce temps-là Jésus prit la parole et dit : Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux habiles, et de l’avoir révélé au tout petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir. Tout m’a été remis par mon Père et nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père comme nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler. Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai. Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes. Oui, mon joug est aisé et mon fardeau léger.
Commentaire :
Quel sens donner à ces propos de Matthieu ? Comme l’évangéliste ne raconte pas une histoire de Jésus, mais donne une catéchèse à ses premiers croyants, il va de soi qu’il nous faut, aussi fidèlement que possible, saisir la portée du message. Avons-nous là un ensemble sans lien avec son contexte ou une pièce normalement emboîtée dans ce qui précède et ce qui suit. De quoi s’agit-il précisément lorsqu’il est question du secret du Père caché aux sages et révélé aux petits ?
Cet extrait de l’évangile de Matthieu (11-13) pose question concernant les œuvres du Christ. Et pour un, Jean-Baptiste le précurseur s’est senti lui-même désemparé au point de tout remettre en question. (11 : 2) Les faits et gestes de Jésus ne lui semblent pas convaincants : Chorozaïm, Bethsaïde, Capharnaüm, scribes et pharisiens, génération conduite à l’impénitence, la chute et le jugement… (12 : 41; 11 : 56 ; 11 : 22-24) Peut-être faudrait-il considérer l’évangile de ce dimanche comme une source d’éclairage sur la suite. Par lui, nous saurions d’une part pourquoi Jésus opère des miracles et révèle aux petits les choses cachées, et, d’autre part, pourquoi les sages et les habiles n’ont pas accès à cette révélation.
Le passage se divise en trois volets : la louange au Père (25-26), l’identité de Jésus (27) et une invitation pleine de sollicitude. (28-30) Le deuxième volet explicite le mobile de la louange au Père et l’invitation. La louange-bénédiction au Père, sur les lèvres de Jésus, dans l’ensemble de Matthieu, est ici quelque chose d’inusité, et l’évocation de Dieu sous le vocable de Père est également inédite. Jamais aucun gourou n’avait osé inviter à venir à lui avec autant d’autorité. Examinons quelques uns des thèmes du passage.
CACHÉ-RÉVÉLÉ
Comment identifier Jésus sans renoncer à sa propre sagesse, sa vision personnelle des choses ? La vie ascétique de Jean Baptiste avait amené les Juifs à considérer Jésus comme un possédé (11 : 18), l’usage de nourritures terrestres lui avait attiré le qualificatif de glouton et d’ami des pécheurs (11 : 19), ses guérisons étaient considérées comme une violation du sabbat (12 : 10) et les exorcismes, l’œuvre de Béèlzéboul. (12 : 24) Pour découvrir le trésor caché , il faudrait lire tous ces événements à la lumière des Écritures, comme sur la route d’Emmaüs, le commentaire de Jésus ouvre aux disciples désespérés le sens de l’histoire. Les gestes inusités de Jésus ont alors pris sens. Mais pour arriver à cette révélation, il faudrait une fois encore nous inscrire à l’école même de Jésus, et c’est de sa bouche même que toutes ces choses cachées dès l’origine seront dévoilées. Les destinataires de l’invitation ne sont plus des ignorants, mais tous ces gens qui peinent et plient sous le fardeau de l’incompréhension et de la quête de sens. Alors, ce qu’ils n’arrivent pas à comprendre et pèse d’un poids très lourd sur leur intelligence et leur foi devient léger et suave. L’école de sagesse à laquelle ils sont conviés en est une de libération et d’exaltation. La douceur de la sagesse tant de fois exaltée devient la douceur du Messie, l’homme le plus humble que la terre ait porté , capable de guider l’homme sur les chemins du repos. (Nb.12 : 3; Ex. 33 : 14; Mt. 5 : 17)
PÈRE – FILS
De cette re-lecture des faits et gestes de Jésus, devient évidente sa relation de fils du Père dont il reçoit tout et non seulement quelques pouvoirs. Si l’intelligence humaine s’avère incapable d’identifier qui il est véritablement, c’est que seul le Père peut le faire connaître. Tout autre, hommes, anges, en dépit des efforts, suppositions et ruses, ne peut parvenir à percer le secret de cette identité La foi est et demeure seul accès possible à cette connaissance (14 : 33) ; le Père révéle le Fils à travers les œuvres et les paroles du Fils. (16 : 16+) Le Fils seul peut connaître le Père conséquemment à son appel (2 : 15) son amour (3 : 17) et l’expérience ainsi que la proclamation qu’en fait Jésus. (26 : 63-64)
L’initiative de Jésus seul peut donner accès à cette révélation. La chose cachée et révélée pour laquelle Jésus rend grâce au Père n’est rien d’autre que la personne du Père révélée par le Fils, ses œuvres et ses paroles demeurées insignifiantes aux sages et aux savants, mais tellement éloquentes au petits et aux humbles. Jamais secret ne fut mieux gardé. Tous les efforts et tensions humaines au cours de siècles précédant le Christ, l’Ancien Testament, furent inaptes à décrypter les codes susceptibles de trahir le secret bien gardé de Dieu, celui que seul un Fils pouvait révéler.