Le rocher de Moriyya
Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. Qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. Qui ne prend pas sa croix et ne vient pas à ma suite n’est pas digne de moi. Qui aura sauvé sa vie la perdra, et qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera. Qui vous accueille m’accueille, et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé. Qui accueille un prophète en tant que prophète recevra une récompense de prophète, et qui accueille un juste en tant que juste recevra une récompense de juste. Quiconque donnera à boire à l’un de ces petits rien qu’un verre d’eau fraîche, en tant que disciple, en vérité, je vous le dis, il ne sera pas frustré. de sa récompense.
Commentaire :
Passage difficile, mots contestés, idéal rebuté ! La version de Matthieu demeure toutefois plus acceptable que celle de Luc : Si quelqu’un vient à moi sans haïr … (14 : 26-27) Le Christ, tant pour Luc que pour Matthieu, ne nous demande pas de nier ce qui est réalité fondamentale de la vie humaine, mais de préciser ce qui pour nous est l’essentiel, de donner priorité à la relation qui donne du sens à toutes les autres. Le Christ ne conteste pas l’unité de l’amour de Dieu et des autres, mais la concurrence entre ces deux amours. Il doit exister une priorité absolue, un choix fondamental à privilégier. Tentons de mieux saisir la portée de cette conclusion au discours apostolique (Mt.11), cela nous permettra de définir les exigences d’une réflexion johannique : Si quelqu’un dit : J’aime Dieu et qu’il déteste son frère, c’est un menteur (1 Jn. 4 :20)
RENONCEMENT
Le père et la mère définissent une hérédité, un enracinement, la solidarité avec un milieu ; mais ces dépendances existentielles ne doivent pas diminuer notre dépendance essentielle du Christ ; ces dépendances dans l’existence ne doivent pas porter atteinte à notre disponibilité à l’appel du Christ. Aimer ses enfants, donner la vie, n’est-ce pas partager la vie même de Dieu ? Et l’enfant ne résume-t-il pas toutes les valeurs nouvelles apportées à la création. Pour renoncer à tout cela d’une certaine façon, il faut avoir compris et accepté que le Seigneur dépasse toutes ces valeurs et réalisations humaines. Pour Jésus, écrivait Paul aux Philippiens, dans son apologie, j’ai accepté de tout perdre, je regarde tout comme déchets afin de gagner le Christ. (Ph.3 : 8)
Le renoncement à soi-même va tellement à l’encontre de ce que le monde moderne revendique. Aujourd’hui, l’objectif est de réussir, se réaliser, s’épanouir, découvrir le sens de sa vie. Le Créateur décrivait, en termes de renoncement, l’expérience de l’amour conjugal : L’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à une femme. (Gn.2 : 24) Dans cette expérience, l’homme et la femme découvrent que pour se gagner, il faut se perdre pour un autre. Devenir soi, c’est prendre de la distance par rapport à soi-même pour vivre avec et suivre quelqu’un. C’est de personne dont il s’agit là, non d’idéologie. En somme, Jésus demande ici que la relation à Sa personne devienne l’essentiel de notre vie, son sens et son orientation. Loin de la pensée de l’évangéliste Matthieu de promouvoir la spontanéité de Thomas : Allons-y, nous aussi, et mourrons avec lui (Jn.11 : 16) ; ce qu’il promeut, c’est davantage la fidélité sans mesure dans le réalisme quotidien d’une existence d’homme. Celui qui veut me suivre, qu’il se charge de sa croix chaque jour. (Lc. 9 : 23) Il s’agit de gagner sa vie en la recevant de Jésus, mais la condition est de mourir à soi.
Ce passage de la catéchèse de Matthieu à ses fidèles est atténué, si, une fois encore, nous la comparons à celle de Luc qui utilisait le terme haïr … Il s’agit toujours de préférence. Qui ne reconnaîtrait cette exigence de primauté serait incapable de devenir disciple de Jésus (Mt. 8 : 19-22) Il n’est pas digne de moi, qui me préfère son père ou sa mère, son fils ou sa fille, sa propre vie personnelle. C’est de tout son cœur, de toute son âme et de toutes ses forces qu’il faut aimer Dieu. On ne renonce pas à soi-même parce qu’une vie est sans valeur ou dans un esprit de sagesse, mais à cause de Jésus.
RADICALITÉ
Ces paroles susceptibles de décourager ou de provoquer, exprime une fois encore la radicalité de l’Évangile et de l’appel divin tel que déjà proclamés dans le Deutéronome : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur … (6 : 4) En conclusion, rappelons le sacrifice d’Isaac au rocher de Moryya, début de l’aventure chrétienne et dévoilement anticipé des plans de Dieu qui va sacrifier son propre fils : La preuve que Dieu nous aime … (Jn. , 3 : 16) Abraham, prend ton fils, celui que tu aimes, ton unique et va me le sacrifier sur la montagne que j’indiquerai. Le long chemin qui part du pays que je t’indiquerai pour s’élever progressivement jusqu’au rocher de Moriyya, malgré la générosité impliquée demeure incomparable à celui qui descendait du ciel pour monter jusqu’au Calvaire.