Un homme est mort. Une mort décidée et programmée par d’autres hommes. Une mort brutale et absurde comme toutes les morts de condamnation. Cependant, un autre homme ose commenter: Vraiment, celui-ci était Fils de Dieu (Matthieu 27, 54)
Et voici que, du fond des âges, d’autres hommes et des femmes se lèvent. Ils traversent les siècles pour se rassembler au tombeau du condamné. Viennent-ils assister aux funérailles? Se rassemblent-ils comme une église pour un dernier adieu? Ils ont marché comme s’ils voyaient l’invisible, comme s’ils croyaient l’incroyable, comme s’ils espéraient l’inespérable!
C’est le matin, un matin silencieux comme un lendemain de honte. Une voix brise ce lourd silence: Je sais que vous cherchez Jésus, le crucifié. Il n’est pas ici, car il est ressuscité comme il l’avait dit. (Matthieu 28, 5-6)
Quelle nouvelle! Je vous vois, pèlerins de tous les âges. Je vous vois, étonnés devant l’inouï. Je vous vois, Adam et Ève. Vous avez quitté un beau paradis. Nous nous nourrissons depuis des millénaires de votre nostalgie. Nous occupons notre temps, nos énergies, nos amours, à reconstruire ce que vous avez perdu. Car c’est cette harmonie que nous cherchons dans nos alliances. C’est cette concorde que nous voulons en construisant nos fraternités. C’est cette chaleur que nous demandons à nos amours d’hommes et de femmes.
Eh bien, ce matin, Dieu vous offre et nous offre à nous aussi un paradis plus beau encore, un jardin dont nous ne soupçonnons pas le paysage. Vous avez voulu devenir comme des dieux. Ce matin, Dieu vous offre de vivre en Dieu. Si nous plongeons notre mort dans la mort du Christ, nous pouvons espérer ressusciter avec lui. Si nous enfouissons notre déchéance dans la déchéance du Christ, nous pouvons espérer une noblesse que seul le Fils de Dieu connaît pour l’instant. Non seulement nos amours seront transformées, mais elles seront envahies par l’amour même de Dieu. Nos sociétés découvriront qu’elles sont appelées au delà d’elles-mêmes. Dieu ne se contente pas de nous ranimer. C’est sa vie qu’il fait germer dans nos morts.
Et vous, Sara, Abraham, vous avez connu les extrêmes. Vous avez vécu la stérilité la plus sèche et la fécondité la plus prodigieuse. Vous avez connu la douceur de l’attachement et l’horreur de tout perdre. Vous avez connu l’amour et la rupture. Voyez, cette nuit, Dieu qui retrouve son enfant perdu, son Fils qui était mort et qui est revenu à la vie. Toute la caravane, la longue caravane de vos descendants, aussi nombreux que les sables de la mer et que les étoiles du ciel, voyez-les maintenant courbés sous le poids de leur sacrifice. Ils ploient sous la charge des injustices.
Voyez l’écart toujours grandissant entre les riches et les pauvres malgré tous les sommets que nous organisons, malgré toutes nos tables de concertation. Voyez les enjeux des alliances et des mésalliances. Voyez les haines entre les peuples jusque dans le pays que Dieu vous avait promis. Et ailleurs dans l’Europe de l’Est, en Afrique, en Extrême Orient et dans les Amériques. Dieu ne veut pas ses sacrifices humains. Dieu ne veut pas ses immolations. Il le dit aujourd’hui en retenant le bras du péché, en ressuscitant son Fils lié sur le bois de la croix. Abraham, Sara, dites à vos descendants et à vos descendantes de ne pas désespérer de l’humanité. Dieu peut faire de la vie avec de la mort.
Et toi, Moïse! Moïse sauvé des eaux, baptisé dans la compassion de Dieu. Moïse, le libérateur, tu as agi au nom de Dieu pour briser l’esclavage de tes compatriotes. Tu les as entraînés au désert, en route vers une terre promise. Vois, ce matin, Dieu qui t’offre et offre à toute l’humanité, un royaume à nul autre pareil. Vois la liberté que Dieu donne dans la résurrection de son Fils. Une liberté qui va même au delà des limites de ce monde. Dis-nous, Moïse, de ne pas avoir peur de la liberté. Même si elle coûte cher. Même si nos vies sont risquées quand nous l’accueillons. Même si nos institutions sont ébranlées quand nous l’assumons. Dis-nous, Moïse, que Dieu nous veut debout, maîtres de nos destins, des hommes et des femmes libérés et libérateurs.
Et vous, les femmes du matin de Pâques, Marie Madeleine, Jeanne et Marie mère de Jacques, et vous les femmes qui les accompagnaient, courez vite vers tous les bouts du monde pour raconter la nouvelle. Répétez-nous le message de l’être mystérieux en vêtements éblouissants: Il n’est pas ici, car il est ressuscité. (Matthieu 28, 6) Hier, vous vous teniez à distance pour contempler Jésus mort sur la croix. Aujourd’hui, laissez Dieu combler la distance et vous conduire jusqu’au Ressuscité.
Désormais ne cherchez plus les morts parmi les tombeaux. Ils ne sont pas là où leurs noms sont inscrits dans la pierre. Ils sont ailleurs, dans l’ailleurs des rêves de Dieu. Vous les trouverez en vous laissant entraîner par Dieu dans la re-création du monde, dans cette longue semaine de siècles et de millénaires où Dieu refait le monde.
C’est fou, tout ce que je dis là. J’en conviens. Mon discours peut sembler être celui d’un illuminé. C’est vrai. La folie de la croix nous conduit à la folie de la résurrection. Aucune preuve ne vient contenter notre raison. Seulement la parole de frères et de soeurs qui ont cru et qui nous invitent à croire. C’est devant la mort et la résurrection du Christ que la foi est la plus dépouillée. Crois seulement, un jour tu comprendras! Mais crois avec tes mains, avec tes paroles. Crois avec tes aspirations et ta quête de sens. Crois dans toutes tes entreprises. Crois dans tes amours et dans tes combats. Crois, et un jour, ta nuit deviendra claire comme le jour.