La pauvreté, tenace, déchirante, de plus en plus criante, nous lance des oeillade quand arrive le temps de Noël. Autour de nous surgissent tous les organismes de lutte à la misère. Leur désir d’éliminer à tout prix la pauvreté semble appartenir à ces rêves idéalistes que poursuivent les Don Quichotte de tous les temps.
Au-delà de la part d’idéalisme qui peut habiller la cause, les initiatives en faveur des démunis ont le mérite d’attirer notre attention: la pauvreté n’est pas une banalité. On ne doit pas s’y habituer. C’est un problème crucial. Il touche les pays en voie de développement, c’est évident. Il atteint aussi, de façon alarmante, les peuples industrialisés et techniquement développés, les peuples riches comme le nôtre. La misère est partout. Et elle atteint toutes les couches de la société. Refuser ce constat, c’est s’enfouir la tête dans le sable.
Par ailleurs, devons-nous nous soumettre à cette réalité comme on assume une fatalité ? Bien des ténors de l’économie et de la politique nous donnent l’impression de prêcher pour la résignation. Il serait impossible d’abattre le mur ! Certains vont même jusqu’à faire du pouce sur l’Évangile ! Ils reprennent la parole de Jésus : Des pauvres, vous en avez toujours avec vous ( Jean 12, 8 ).
C’est nous qui avons fait naître la pauvreté. Admettons-le. Et si nous sommes capables de la créer, pourquoi ne pourrions-nous pas arriver à l’éliminer ? Pourquoi baisser les bras si vite ? Regardons-nous : nous réalisons des prodiges. Nous avons réussi à aller sur la lune et nous nous apprêtons à visiter d’autres planètes. Nous voyageons allègrement sur l’autoroute de l’Internet. Nous avons du génie ! Ça se voit ! Assez de génie pour vaincre la misère !
Nos lenteurs à solutionner le problème laissent entendre que la pauvreté profite à quelqu’un quelque part. Il y a de l’argent à faire sur le dos des pauvres. Sinon, pourquoi certains deviennent-ils de plus en plus riches alors que beaucoup d’autres sont de plus en plus pauvres ? Sinon, pourquoi le fossé entre les biens nantis et les démunis se creuse-t-il de plus en plus profondément ?
Tartuffe jette les hauts cris quand il découvre un assisté social paresseux ou un chômeur qui se fait brunir la bedaine au soleil de la Floride. Mais il ne se gêne pas pour cacher les revenus qui feraient grimper ses impôts personnels. Ne pas payer tous ses impôts, c’est du vol ! Actuellement, l’État perd davantage à cause de mauvaises déclarations à l’impôt qu’il ne perd à cause de la fraude contre l’aide sociale. Et que dire des évasions fiscales ? Mais non, on préfère s’en prendre aux petits, les principales victimes de la crise économique et sociale. Il est toujours plus facile de gagner quand on choisit de se battre avec des adversaires plus faibles et désarmés.
Pour faire disparaître nos énormes dettes, on parle beaucoup de déficit zéro ! Il faut regarnir les coffres de l’État, dit-on, afin que le pays sorte du marasme, afin qu’il entre sereinement dans le troisième millénaire. D’accord ! Mais quand lutterons-nous pour que chaque famille vivant sous le seuil de la pauvreté puisse, elle aussi, atteindre son déficit zéro ? La véritable prospérité d’un pays ne dépend pas d’abord de la santé de ses institutions – même financières – mais du bien-être et du bonheur des citoyens et des citoyennes.
Dans quelques jours, nous fêterons Noël. L’enfant de Bethléem ne glorifie pas la pauvreté. Il ne veut pas réduire l’être humain à la misère en lui promettant un paradis idyllique. Il dit, et il dit avec éloquence, que Dieu est du côté des pauvres et qu’il faut transformer la terre pour que celle-ci devienne, le plus tôt possible, un paradis pour tous les enfants du monde.