Peu après être arrivé dans cette université chinoise, une étudiante a souhaité m’accompagner à la sortie de mon cours, à travers le campus, jusqu’à une boutique de photographe. Photos d’identité en main, mon étudiante a souhaité les regarder.
– Tiens, a-t-elle dit, on dirait un prêtre!
– Vous en avez déjà rencontré, des prêtres ? ai-je demandé.
– Non, jamais, a-t-elle répondu avec un sourire, mais ça doit être comme ça!
Je ne pouvais pas dire à cette étudiante que j’étais prêtre. Mais elle semblait le savoir autrement, silencieusement… Se tenir dans le silence, être signe pourtant. Être prêtre en Chine, homme de peu de signes, et peut-être même jusqu’à recevoir de l’autre le signe que je donne.
Au long de ces pages, de signe en signe, de la parole au pardon, de la rencontre à l’eucharistie, se profile une vie de prêtre. Ce prêtre n’a pas de paroisse, mais n’est-il pas pourtant prêtre attaché à un peuple ? Il dit la messe seul, mais n’est-ce pas pourtant l’eucharistie de l’Église ? Ceux avec lesquels il vit ne savent pas ce qu’est un prêtre, n’est-il pas prêtre pour autant ?
En écrivant ce livre j’ai beaucoup pensé à celles et ceux, jeunes surtout, qui désirent témoigner mais se retrouvent seuls chrétiens là où ils vivent, étudient et travaillent. Ils ne peuvent ni ne savent dire les mots de leur foi, louer Dieu et prier dans la solitude imposée. Il existe un chemin de disciple du Christ qui s’aventure au pays des lointains, saisi du désir de voir là où Dieu ne se dit pas.
Sur ce chemin, j’ai entendu la voix de Thérèse de Lisieux comme une fraternité offerte au marcheur. Dialoguant avec un jeune prêtre, Adolphe, envoyé en Chine il y a un siècle, elle a ouvert une voie qui interroge la marche de l’Église en mission. Un siècle plus tard, la fraternité de Thérèse m’a accompagné; elle a éclairé mes pas sur les chemins chinois d’aujourd’hui.
Chapitre Voyager avec l’Ami , p 104-106
Cent ans après Adolphe, j’ai, moi aussi, souvent éprouvé cette joie, particulièrement lors de la célébration quotidienne de l’eucharistie. Aucun Chinois n’a jamais participé à cette messe célébrée portes fermées, dans mon logement de prof sur le campus de l’université ou dans mon deux-pièces d’un immeuble populaire de Pékin. La joie n’a bien sûr pas sa source dans ce caractère caché, dans le secret obligé par la sévérité de la loi chinoise, pas plus qu’elle n’avait sa source pour Adolphe dans l’hostilité d’un milieu chinois vis-à-vis d’un étranger.
Porter le Christ sans le brandir comme une bannière. Vivre du Christ sans s’en rengorger. Témoigner de l’Amour sans faire l’orgueilleux. Parler de Dieu sans assourdir l’autre. Aimer les lointains en quêtant d’abord discrètement leur amour.
Prêtre envoyé en Chine, je suis souvent interrogé sur cette discrétion. Parfois aussi j’aimerais être plus explicitement prêtre au milieu des amis chinois. Quand je reviens en France, je suis heureux de vivre ouvertement pendant quelques semaines cette identité de prêtre. Mais il n’y a pas de rapport d’opposition entre la discrétion en Chine et l’explicite ailleurs.
Ce sont deux chemins de la mission. Je crois que ces chemins sont nécessaires à l’Église. Au temps d’une mystique de l’enfouissement des prêtres-ouvriers, est né le besoin d’une visibilité plus grande dans l’annonce de l’amour de Dieu et dans la reconnaissance des dons de l’Esprit. A l’heure d’une grand médiatisations des événements religieux, d’une spontanéité parfois débordante dans l’expression du sentiment religieux, il reste nécessaire de témoigner que Dieu se donne aussi à l’homme dans l’extrême discrétion d’une aventure intime et que l’incroyance ne disparaît pas parce que des croyants confessent publiquement leur foi.
Entre une âme de croyant et une âme qui véritablement n’a pas la foi , le langage qui passe est d’abord celui de l’amour….Comment un prêtre pourrait-il être missionnaire s’il n’aimait lui-même l’amour, s’il n’en avait pas une grande faim ? Comment un prêtre en Chine vivrait-il s’il n’allait pas chaque matin chercher cet amour auprès de l’Ami à la table de l’eucharistie, comme il va le chercher chaque jour aussi en s’asseyant au travail, dans les petits restaurants chinois qui font office de cantine, et partout ailleurs où la vie l’emmène, à la table des incroyants : ….Depuis mon adolescence, j’ai aimé la célébration de la messe. Je crois même pouvoir dire qu’un poumon de ma vie et de ma foi a d’abord été dans ma jeunesse l’eucharistie avant que je devienne familier de la Parole de Dieu. EN Chine, les mots de ma foi viennent très rarement sur mes lèvres, publiquement. La prière est d’autant plus une source pour la foi, avec la pratique de l’Évangile au quotidien.