De tous les mois de l’année, juillet et août sont sans doute les plus propices à une activité spirituelle accessible à tous. Cette activité est au cour des grandes traditions monastiques aussi bien orientales qu’occidentales, mais elle est aussi observée dans les familles les plus humbles et par les personnes les plus sécularisées. Il s’agit de l’hospitalité.
Dans plusieurs langues, le mot « hôte » désigne aussi bien la personne qui reçoit que la personne qui est reçue. Comment mieux suggérer que l’hospitalité est une expérience de réciprocité ? L’hospitalité est une expérience qui unit deux ou plusieurs personnes.
Dans les sociétés traditionnelles, particulièrement dans les sociétés nomades où les gens ne disposent pas de la sécurité d’un habitat fixe, l’hospitalité est pratiquement une affaire de survie. Il y a réciprocité dans l’hospitalité parce que tous sont dépendants les uns des autres. Solidaires. Reliés. J’accueille aujourd’hui celui à qui je devrai peut-être demander demain d’être accueilli.
Les pratiques d’hospitalité changent de sens dans le cadre de la vie sédentaire. Pour le sédentaire, la solidarité est moins évidente. Le récit biblique des deux frères Caïn et Abel le suggère. Caïn, le cultivateur, est lié à sa terre alors qu’Abel, le berger, doit se déplacer constamment avec ses bêtes. Et c’est Caïn qui porte la question qu’aucun nomade n’aurait posée : Suis-je le gardien de mon frère ? (Genèse 4 9)
L’hospitalité continue aujourd’hui de se vivre d’une manière spontanée, aussi bien entre membres de la famille élargie, des amis mais aussi des inconnus qu’on a rencontrés en voyage : Si jamais vous passez par chez nous. L’hospitalité spontanée a même pris des formes modernes importantes en période de vacances, par exemple l’auto-stop. Mais à côté d’elle, il y a depuis presque toujours l’hospitalité structurée. Commercialisée. La racine qui nous a donné « hospitalité » nous a aussi donné « hôtel » ou « hôtellerie ». Même si on y paie le service, toute trace de la valeur originelle n’a pas disparu. S’il y a une règle d’or en hôtellerie, c’est bien celle de la courtoisie ou même de la chaleur de la réception ou le souci que les hôtes visiteurs se sentent bien et ne manquent de rien. Il s’agit toujours d’un lieu où on continue de « prendre soin de » l’étranger (comme on le fait dans « l’hospice » et « l’hôpital »).
En quoi donc cette pratique si universelle de l’hospitalité est-elle lieu d’expérience spirituelle ? C’est qu’elle est expérience de dérangement, de déplacement et d’ouverture. En accueillant de l’autre, l’étranger à ma vie quotidienne et habituelle, je dois briser mes habitudes, modifier ma routine, me décentrer de moi-même. En acceptant l’hospitalité de l’autre, je dois abandonner ma suffisance, me rapprocher de la simplicité de celui qui reçoit, accepter de devenir redevable à quelqu’un, ce qui me rapproche de l’essentiel de la foi chrétienne que le théologien Paul Tillich décrivait comme l’expérience d’accepter d’être accepté.
Pour les traditions juive et chrétienne, il y a encore davantage. Le chapitre 18 du Livre de la Genèse relate comment dans l’accueil de trois étrangers, c’est Dieu lui-même qu’Abraham accueille. L’Évangile pour sa part rapporte des paroles de Jésus comme Qui accueille en mon nom un enfant comme celui-là, c’est moi qu’il accueille et qui m’accueille(.) accueille celui qui m’a envoyé (Marc 9 37), ou encore J’étais étranger et vous m’avez accueilli.(.) Quand donc t’avons-nous vu étranger et t’avons-nous accueilli ? À chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont miens (Matthieu 25 35-40). La liturgie catholique parle même de l’Esprit comme du « doux hôte de l’âme », puisque nous pouvons ainsi faire de Dieu notre intime jusqu’à ce que nous soyons à notre tour accueillis d’une manière définitive et que nous devenions les hôtes de Dieu dans sa maison qui sera la nôtre : Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père : sinon, vous aurais-je dit que j’allais vous préparer le lieu où vous serez ? (Jean 14 2).