Entrevue avec Jean-Jacques Lavoie
L’été, c’est le temps de ralentir ses activités pour profiter des longues heures d’ensoleillement. Comment comptez-vous vous reposer cette année? Un voyage? De bonnes lectures? De longues promenades? Célébrer les Heures a rencontré pour vous quelqu’un qui a beaucoup réfléchi sur la question du repos. Jean-Jacques LAVOIE est professeur au département des Sciences religieuses à l’Université du Québec à Montréal. Nous lui avons demandé de parler du repos dans les psaumes.
Célébrer les Heures: Depuis quelques années, surtout depuis l’ouverture des commerces le dimanche, ne trouvez-vous pas que nous avons modifié notre perception et nos pratiques concernant le repos?
Jean-Jacques LAVOIE: En effet! Jadis, le temps qui pouvait procurer le repos était quasi entièrement programmé, dans son horaire comme dans son contenu, sinon par des décisions ecclésiales, du moins par des influences religieuses. Aujourd’hui, les temps du repos sont plutôt devenus l’objet d’une planification du travail et d’une simple politique nationale. En outre, de façon générale, la société moderne a non seulement désaffecté le repos de sa référence religieuse, mais elle a aussi pratiquement fait du travail le but et la valeur suprême de la vie. Le repos, ces quelques heures chaque semaine et ces quelques semaines chaque année, n’a souvent de valeur et d’intérêt que comme une pause pour pouvoir mieux reprendre l’activité. La vie, dans bien des cas, c’est faire, produire, consommer, vaincre et gagner.
C.H.: Dans un tel contexte, n’est-il pas un peu futile de chercher à saisir ce que les psaumes ont à dire au sujet du repos?
J.J.L.: Une telle entreprise en laissera peut-être quelques-uns sceptiques. Pourtant, j’en suis persuadé, le psautier demeure à certains égards un lieu d’interpellation. J’aimerais vous le montrer en examinant rapidement avec vous quelques psaumes, en commençant par le Psaume 126 (127)..
C.H.: D’accord. Mais honnêtement, le verset 2 n’est-il pas un encouragement à la paresse?
J.J.L.: J’y vois beaucoup plus une belle critique de la suractivité effrayée et inquiète qui nous envahit très souvent:
1. Si le Seigneur ne bâtit la maison,
ses bâtisseurs travaillent pour rien.
Si le Seigneur ne garde la ville,
la garde veille pour rien.
2. Rien ne sert de vous lever tôt,
de retarder votre repos,
de manger un pain pétri de peines!
À son ami qui dort, il donnera tout autant.
3. Mais oui! des fils sont un héritage du Seigneur,
et la progéniture un salaire.
4. Telles des flèches aux mains d’un guerrier,
tels sont les fils de votre jeunesse.
5. Heureux l’homme qui en a rempli son carquois!
Il ne perdra pas la face s’il doit affronter
l’adversaire aux portes de la ville.
(Psaume 126(127))
Ce psaume ne veut aucunement favoriser la paresse. Il entend simplement réprouver la préoccupation angoissée et exagérée de ceux et celles qui ignorent que l’essentiel de ce qu’on fait est assuré par Dieu. L’être humain déploie des efforts pénibles pour travailler. Le mot employé au verset 2 pour désigner ces efforts est le même qu’en Genèse 3, 17-19 qui dit «… le sol sera maudit à cause de toi. C’est dans la peine que tu t’en nourriras tous les jours de ta vie, il fera germer pour toi l’épine et le chardon et tu mangeras l’herbe des champs. À la sueur de ton visage tu mangeras du pain jusqu’à ce que tu retournes au sol…»
Mais par-delà ces efforts déployés par l’être humain, le succès dépend de Dieu seul. Ainsi lit-on dans le Deutéronome: «Ne vas pas dire: ‘C’est à la force du poignet que je suis arrivé à cette prospérité’, mais souviens-toi que c’est le Seigneur ton Dieu qui t’aura donné la force d’arriver à la prospérité» (8, 17-18).
Mais revenons au Psaume 126(127). Il fournit quatre exemples de ces efforts auxquels les êtres humains sont appelés: la construction du temple ou d’une simple maison (verset 1bc); la garde assurée d’une ville (verset 1de); l’acquisition du pain quotidien (verset 2); une descendance (versets 3-5). Ainsi, à l’aide de ces exemples, le Psaume 126(127) nous enseigne que le repos physique n’empêche en rien la bénédiction divine.
C.H.: Se reposer physiquement, c’est essentiel. Mais pour mener une existence équilibrée, l’être humain n’a-t-il pas tout autant besoin de se reposer intérieurement?
J.J.L: Bien sûr! Le corps fatigué a besoin de se reposer, de dormir et de manger. C’est incontestable. Mais il n’y a pas que le repos physique. Le repos est aussi intérieur. C’est ce que nous apprennent les versets 2 et 6 du Psaume 61(62):
2. Je n’ai de repos qu’en Dieu seul,
mon salut vient de lui.
6. En Dieu seul repose-toi, mon âme,
oui, mon espoir vient de lui.
(Psaume 61(62))
Le mot repos au verset 2 évoque l’abandon du petit enfant qui est endormi en sécurité contre sa mère. Le même mot revient dans le Psaume 130(131): «Je tiens mon âme égale et silencieuse; mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère» (verset 2). Le repos en Dieu est comme la tendresse maternelle. Comme la mère est unique et irremplaçable pour l’enfant, ainsi en est-il de Dieu pour le psalmiste. Dieu est donc son seul repos, c’est-à-dire sa véritable sécurité, son seul salut (verset 2b), sa seule assurance, son unique espoir (verset 6b). Ce repos ne peut être reçu que par celui qui renonce aux fausses nécessités, celles qui sont à l’échelle humaine:
10. L’homme n’est qu’un souffle,
les fils des hommes, un mensonge:
sur un plateau de balance, tous ensemble,
ils seraient moins qu’un souffle.
11. N’allez pas compter sur la fraude
et n’aspirez pas au profit;
si vous amassez des richesses,
n’y mettez pas votre coeur.
(Psaume 61(62))
C.H.: Et que peut-on dire du Psaume 22(23)? Les deux premiers versets laissent entrevoir toute la paix et la sérénité d’esprit pour la personne qui se laisse conduire par Dieu.
J.J.L.: Ce psaume reprend en quelque sorte certaines idées des Psaumes 126(127) et 61(62):
1. Le Seigneur est mon berger,
je ne manque de rien.
2. Sur de frais herbages, il me fait coucher;
près des eaux du repos, il me mène,
3. il me ranime.
(Psaume 22(23))
Dieu veille aux intérêts de l’être humain en lui assurant nourriture abondante et repos suffisant. Toutefois, le vrai lieu de repos où le psalmiste trouve tout ce qu’il faut, c’est le Temple, là où Dieu a préparé une table avec une coupe débordante.
5. Devant moi tu dresses une table,
face à mes adversaires.
Tu parfumes d’huile ma tête,
ma coupe est enivrante.
6. Oui, bonheur et fidélité me poursuivent
tous les jours de ma vie,
et je reviendrai à la maison du Seigneur.
Pour de longs jours.
Ce repos dans le Temple n’a rien d’ennuyant puisque bonheur et grâce l’accompagnent, comme on le voit au début du verset 6. Pourrait-on en dire autant du repos qu’on recherche dans l’église?
C.H.: Le Psaume 91(92) porte le titre «Psaume, chant: pour le jour du sabbat». Quelle fonction pouvait avoir ce psaume lors du jour consacré au repos du peuple juif?
J.J.L.: Ce psaume était chanté le vendredi soir, au Temple, alors que commençait la célébration du sabbat. Le verset 14 fait d’ailleurs mention de la «maison du Seigneur», c’est-à-dire le Temple. Encore aujourd’hui, dans les synagogues, les juifs observent la même coutume. Or, si l’on en croit ce psaume, le jour du repos s’ouvrait par une hymne d’action de grâce accompagnée de musique.
2. Qu’il est bon de célébrer le Seigneur
et de chanter pour ton nom, Dieu Très-Haut!
3. de proclamer dès le matin ta fidélité
et ta loyauté durant les nuits,
4. sur le luth et sur la harpe,
au son de la cithare.
5. Car ton action me réjouit, Seigneur!
et devant les oeuvres de tes mains, je crie de joie.
6. Que tes oeuvres sont grandes, Seigneur,
et insondables tes desseins!
Le reste du psaume est une réflexion sur la rétribution terrestre (versets 7-16). Eh oui! Hymne de louange et réflexion existentielle ne sont pas interdits lorsqu’on décide de se reposer!
C.H.: Le psautier ne nous parle pas que du repos des hommes et des femmes. Il y a aussi le repos de Dieu. Mais à lire le Psaume 82(83), on a l’impression que les êtres humains ne veulent pas laisser Dieu en paix! N’a-t-il pas droit lui aussi de souffler un peu?
J.J.L. : Si les êtres humains s’inquiètent du repos du Seigneur, c’est que cet «arrêt de travail» risque d’empêcher leur propre repos!
2. Ô Dieu ne reste pas muet,
plus de repos, plus de silence, ô Dieu!
3. Voici, tes adversaires grondent,
tes ennemis lèvent la tête.
(Psaume 82(83))
Comme l’indiquent le verset 3 et le reste du psaume, le repos symbolise ici l’inaction, l’indifférence, l’impuissance et l’absence de Dieu. Or, dans ce psaume, qui est une supplication nationale ou collective, on demande à Dieu de se faire présent et d’intervenir pour redresser les injustices. Plus précisément, Israël demande à Dieu de mettre un terme à son repos pour qu’il puisse être libéré de ses oppresseurs que sont les Édomites, les Moabites, les Philistins, les Assyriens, etc. (versets 4-9). De nos jours, c’est le Sud qui demande d’être libéré du Nord. Ce sont aussi les Kurdes, les Haïtiens, les Afghans, les Angolais, etc., qui demandent le repos, c’est-à-dire l’espoir et le salut.
C.H.: En terminant, Monsieur Lavoie, est-ce que le psautier a quelque chose à dire à l’homme et à la femme d’aujourd’hui au sujet du repos?
J.J.L.: Tout à fait. Ce n’est sans doute pas sa préoccupation majeure, il n’en est question qu’une dizaine de fois. Mais son appréciation du repos n’en reste pas moins d’une étonnante actualité. Les psaumes nous ont fait voir qu’il y a, pour les humains, deux sortes de repos: un physique et un intérieur. Ils sont tous deux des repos en Dieu et c’est pourquoi ils sont féconds. Toutefois, il n’en va pas de même du repos de Dieu. Ce dernier est dramatique, car il signifie son inattention et son désintérêt des affaires humaines. Comme bien des gens dans notre société et dans les pays pauvres, Dieu n’a donc pas le droit au repos.
C.H.: Merci beaucoup, Monsieur Lavoie. Nous vous souhaitons de passer un été… bien reposant!
Entrevue réalisée par Jean GROU