Devine qui vient souper ?
À l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père, il disait à ses disciples : «Si quelqu’un m’aime, il restera fidèle à ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui. Celui qui ne m’aime pas ne restera pas fidèle à mes paroles. Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi : elle est du Père, qui m’a envoyé. Je vous dis tout cela pendant que je demeure encore avec vous ; mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit. C’est la paix que je vous laisse, c’est ma paix que je vous donne ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Ne soyez donc pas bouleversés et effrayés. Vous avez entendu ce que je vous ai dit : je m’en vais, et je reviens vers vous. Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père, car le Père est plus grand que moi. Je vous ai dit toutes ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent ; ainsi, lorsqu’elles arriveront, vous croirez.»
Commentaire :
Dans quelques jours, Jésus aura accompli sa mission sur terre. Mais avant de disparaître aux regards des siens, il veut donner un sens à son absence : présence permanente et vivifiante pour ceux et celles qui croiront en lui et vivront dans son amour. Cette parole du Seigneur dans les derniers moments du repas pascal est son testament, une promesse inoubliable, pour laquelle l’Esprit, le Défenseur sera donné.
Au terme de sa réflexion et de son travail sur l’évangile, Jean pénètre plus avant dans le mystère de l’absence et de la présence de Jésus aux siens. Depuis la croix, il a vécu dans cette absence sensible, mais il a peu à peu saisi qu’elle était la condition d’une présence transcendante du Seigneur.
Les départs sont rarement objets de réjouissance, même leurs perspectives remplissent le coeur de tristesse et d’angoisse. «Ne soyez donc pas bouleversés et effrayés,» recommandait Jésus à ses disciples ; «je m’en vais et je reviens». Quelle émouvante promesse ! Il fait bon de l’entendre au départ d’un être cher. «Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père.» J’ai souvenir des propos d’un vieux chrétien au chevet de son épouse moribonde : «Pourquoi pleurer ? Je serais bien égoïste de me plaindre, lorsque après tant d’années heureuses vécues ensemble, elle s’en va retrouver notre Seigneur.» Seule la foi permet pareille espérance, incomparable certitude : «Je vous ai dit toutes ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent, ainsi lorsqu’elles arriveront, vous croirez.»
Mais, la chose la plus merveilleuse demeure encore cette promesse de présence et d’intimité après son départ. Nous sommes à quelques heures de l’Ascension, et devant l’imminence de l’événement, Jésus déclare à ses disciples : « Si quelqu’un m’aime, il restera fidèle à ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui.»
Une vie d’intimité avec Dieu, comme en vivent certaines âmes, est-ce croyable ? Évoquons ici le souvenir de la grande Marie de l’Incarnation. Kateri Tékachouïta s’enfonçait dans les bois pour goûter davantage cette relation amoureuse avec Dieu, et notre bon ami Jean XXIII dont le Journal est pregnant de cette présence sentie de Jésus aux diverses étapes de sa vie. Notre réaction serait-elle de penser des uns et des autres : «plus admirables qu’imitables.» Pourtant le secret de ces âmes, la source de leur intimité incomparable et durable avec Dieu est celle-là même que Jésus précisait : la fidélité à la Parole.
Pour accueillir Dieu, il faut recevoir sa parole et en vivre dans l’amour. Toute la tradition biblique le proclame : la connaissance de Dieu est relation personnelle, intimité, amour. «Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole.» Huit siècles avant Jésus, Osée annonçait déjà cette connaissance initiatique : «Je te fiancerai à moi pour toujours ; je te fiancerai dans la justice et le droit, dans la tendresse et l’amour ; je te fiancerai à moi dans la fidélité et tu connaîtras Yahvé.» (Osée 2 :21-22)
Fidélité à la Parole, l’expression risque de nous déconcerter. La fidélité s’avère chose tellement rare de nos jours, toute forme d’engagement facilement contestée. Il suffirait très simplement de lire la Parole, de l’entendre, de la laisser mijoter en nous, de la comprendre comme on se recueille devant un mot d’amour. Revenons à cette page de Matthieu, la parabole du semeur et les explications qu’en donne l’évangéliste : «Celui qui a reçu la Parole, cette semence dans la bonne terre, c’est l’homme qui entend la Parole et la comprend : celui-là porte du fruit et produit tantôt cent, tantôt soixante, tantôt trente.» (Mat. 13 : 23)
«Si quelqu’un m’aime, il restera fidèle à ma parole ; mon père l’aimera, nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui.» L’Apocalypse de Jean prête à Dieu une invitation analogue : «Voici que je me tiens à la porte et que je frappe ; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi.» (Apoc.3 :20)
Qui peut refuser sa porte à l’Hôte divin ? La voix du Seigneur dans le lointain fera tressaillir notre âme comme Élisabeth à la voix de Marie ?