VIII
O Seigneur, ô mon Dieu! qu’il est bien vrai que vous possédez les paroles de vie, où tous les mortels trouveraient, s’ils voulaient l’y chercher, le bonheur auquel ils aspirent! Mais quoi d’étonnant, ô mon Dieu, que par la suite de la folie et de l’infirmité que nous causent nos ouvres coupables, nous venions à oublier vos paroles? O mon Dieu, mon Dieu! ô Dieu Créateur de tout l’univers! qu’est-ce donc que tout le créé, si vous vouliez, ô Seigneur, créer encore? Vous êtes le Tout-Puissant et vos ouvres sont incompréhensibles. Faites donc, Seigneur, que ma pensée ne s’éloigne jamais de vos paroles.
Vous dites : Venez à moi, vous tous qui souffrez et pliez sous le fardeau, et je vous consolerai. Que désirons-nous de plus, Seigneur? Que demandons-nous? Que cherchons-nous? Pourquoi les esclaves du monde se perdent-ils, si ce n’est parce qu’ils sont à la recherche du repos? O grand Dieu, ô grand Dieu, qu’est-ce que cela signifie, Seigneur? Quelle pitié! Quel profond aveuglement que de chercher le bonheur là où il est impossible de le trouver! O Créateur, ayez compassion de vos créatures! Considérez que nous ne nous comprenons pas nous-mêmes; nous ne savons pas ce que nous désirons et nous n’arrivons pas à trouver ce que nous demandons. Donnez-nous, ô Seigneur, votre lumière.
Considérez qu’elle nous est plus nécessaire encore qu’à l’aveugle-né. Celui-ci désirait voir la lumière et il ne le pouvait pas; et maintenant, Seigneur, on ne veut pas voir. Est-il mal plus incurable que celui-là! C’est ici, mon Dieu, que doit se montrer votre pouvoir, ici que vous devez manifester votre miséricorde. Oh! quelle grâce élevée je vous demande, ô vrai Dieu, ô mon Dieu, quand je vous conjure d’aimer ceux qui ne vous aiment pas, d’ouvrir à ceux qui ne vous appellent pas, de rendre la santé à ceux qui prennent plaisir à être malades et à rechercher la maladie! Vous dites, ô mon Seigneur, que vous êtes venu chercher les pécheurs. Eh bien, les voilà, ô Seigneur, les véritables pécheurs! Ne considérez pas, mon Dieu, notre aveuglement, mais plutôt le sang que votre Fils a répandu abondamment pour nous. Faites resplendir votre miséricorde au milieu d’une si insigne malice. N’oubliez point, Seigneur, que nous sommes votre ouvrage, Répandez sur nous vos bontés et vos miséricordes.
IX
O Seigneur de mon âme! vous qui êtes la miséricorde et l’amour! vous avez dit encore : venez à moi, vous tous qui avez soif, et je vous donnerai à boire.
Mais comment ne souffriraient-ils pas une soif dévorante ceux que la convoitise des choses misérables d’ici-bas consume de ses flammes ardentes! Ah! quelle nécessité ils ont de votre eau, pour n’être point complètement consumés! Je le sais, ô mon Seigneur, votre bonté ne la leur refusera pas. Vous l’avez dit vous-même, et vos paroles ne peuvent manquer de se réaliser. Mais s’ils sont habitués à vivre dans ce feu, s’ils y ont été élevés et que, par la suite, ils se le sentent plus et ne peuvent, tant est grande leur folie, découvrir l’excès de leur infortune, quel remède y a-t-il pour eux, ô mon Dieu? Et cependant c’est pour remédier à de si grands maux que vous êtes venu en ce monde. Commencez donc. Seigneur! C’est dans les ouvres les plus difficiles que votre compassion doit se manifester.
Considérez, ô mon Dieu, que vos ennemis progressent tous les jours. Ayez pitié de ceux qui n’ont pas pitié d’eux-mêmes; et puisque leur infortune les a placés dans un tel état qu’ils ne peuvent pas aller à vous, allez vous-même à eux, ô mon Dieu! Je vous le demande en leur nom. Et je le sais, dès qu’ils commenceront à se connaître, à rentrer en eux-mêmes et à vous goûter, ces morts ressusciteront enfin.
O vie, qui donnez la vie à tous les hommes, ne me refusez pas, à moi, cette eau si douce, que vous promettez à ceux qui la désirent. Pour moi, Seigneur, je la désire, je la demande, et je viens à vous. Ne vous cachez pas de moi, Seigneur,. Vous connaissez ma nécessité, et vous savez que cette eau est le vrai remède de l’âme que vous avez blessée.
O Seigneur, que de feux différents il y a en cette vie! Et comme on a raison de se tenir dans la crainte! Les uns consument l’âme, les autres la purifient afin qu’elle vive et jouisse éternellement de vous. O fontaines vivifiantes qui jaillissez des plaies de mon Dieu, qui pourra dire comme vous coulerez toujours en flots abondants pour nous soutenir! Oh comme elle triomphera sûrement des périls de cette triste existence, l’âme qui s’appliquera à se soutenir avec cette divine liqueur!
Sainte Thérèse d’Avila. Docteur de l’Église (1515-1582).