Notre existence est tissée de relations. Mille ramifications s’entrecroisent depuis notre naissance et même notre conception. Nous avons d’abord été conçus dans une relation entre une femme et un homme. Notre mère et notre père ont été notre première relation. Une relation même très profonde: nous sommes de la chair de nos parents. Mais, par la suite, nous avons pris contact avec leur entourage, puis bien d’autres personnes connues et inconnues: nos frères, nos soeurs, des voisins, mais aussi la caissière du centre d’achats, le chauffeur d’autobus, etc.
Je me souviens, très jeune adolescent, à l’âge des statistiques et des compilations, j’aurais souhaité faire la liste de toutes les personnes que je connaissais. J’étais encore au début de ma vie, la chose aurait été relativement facile à faire. Mais aujourd’hui, avec toutes les années de rencontres, de contacts, de communications qui composent mon existence, il me serait impossible de réunir les noms de tous ceux qui m’ont croisé un jour ou l’autre.
Chacune de nos existences est enveloppée d’un immense filet de relations, une grande nappe de dentelle, dont les fils relient entre nous tant et tant de personnes. Ce filet, cette nappe recueille et garde ensemble tout ce qui compose l’histoire de notre vie: des événements, des attachements, des découvertes, des valeurs… Le filet de nos relations humaines rassemble tout ce que nous avons glané au cours des ans. En même temps, il donne une forme à tout cela.
C’est dire toute l’importance des contacts, des rapprochements, des liens que nous tissons. Nos amitiés nous sont essentielles. L’amour donne un sens à l’ensemble de notre histoire. Souvent, les autres sont à l’origine des événements. Ils arrivent dans notre vie avec leurs influences. Ils appellent et fascinent. Ils créent chez nous une réaction, une initiative, une intervention. Et voilà une page nouvelle que nous sommes en train d’écrire.
Parfois, un maillon de notre filet se casse. La dentelle se déchire. Un conflit avec quelqu’un vient de surgir. Une colère explose. Une menace, un danger pointe à l’horizon. Une mauvaise relation ou un défaut de relation est souvent à l’origine de cette faille. Parfois, l’harmonie de l’ensemble de la vie est compromis. Le sens peut s’échapper du filet ou de la nappe de dentelle comme le sable qui fuit par une brèche dans le sac.
Pas surprenant que Jésus ait placé l’amour au-dessus de tout, la loi suprême, l’inévitable règle de vie. Pas surprenant même qu’il tienne compte des ennemis dans sa vision des relations interpersonnelles. Il ne dit pas de ne pas en avoir, ce serait irréaliste. Mais il propose une manière de vivre avec l’ennemi: prier pour lui, dire du bien de celui qui nous maudit.
Qu’est-ce que Jésus veut dire? Combattre l’ennemi en l’attaquant ou simplement l’ignorer ne réparera pas le filet de nos relations. La nappe de notre histoire va demeurer déchirée. Prier pour que guérisse la relation, souhaiter du bien au point d’influencer l’attitude de l’autre, tenter de le changer par une attitude différente de la haine ou de la vengeance.
Chemin difficile que l’amour des ennemis, la prière pour l’agresseur! C’est vrai. Il faut parfois beaucoup de temps pour y parvenir. La première étape de la prière, c’est souvent de prier pour que notre propre regard se transforme, qu’il apprivoise la situation, qu’il reconnaisse notre responsabilité personnelle. Dans une relation, il y a toujours deux personnes. Un ennemi est toujours l’ennemi de quelqu’un. Il y a donc du chemin à faire par les deux partis à la fois. Le filet ne peut se réparer sans que les deux bouts du fil ou de la corde se rapprochent et se nouent de nouveau.