La passion de Pierre
« Or, un jour, la foule le pressait pour écouter la parole de Dieu, et Jésus se tenait sur les bords du lac de Gennésareth. Il vit deux barques arrêtées près du rivage. Les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets. Il monta dans l’un des barques, qui était à Simon, et le pria de s’éloigner quelque peu du rivage. Alors, il s’assit et, de la barque, enseignait les foules. « Quand il eut fini de discourir, il dit à Simon : « Avance en eau profonde, et lâchez vos filets pour la pêche.» Simon répondit : «Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre. Mais sur ta parole, je vais lâcher les filets. »
Lorsqu’ils l’eurent fait, ils prirent une telle quantité de poissons que leurs filets se rompaient. Ils firent alors signe à leurs associés de l’autre barque de venir les aider. Ils vinrent donc, et on remplit les deux barques au point qu’elle enfonçaient. « A cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus en disant : «Éloigne-toi de moi, car je suis un pécheur ! » La frayeur en effet l’avait saisi, et tous ceux qui étaient avec lui, à cause de la prise de poissons qu’ils avaient faite ; de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, les compagnons de Simon. mais Jésus dit à Simon : « Cesse de craindre, désormais, ce sont des hommes que tu prendras.» Ramenant les barques à terre, ils laissèrent tout et le suivirent.»
Commentaire :
Il faudrait un Jean Sébastien Bach pour écrire la Passion de Pierre. L’apôtre était un homme passionné, un homme de passions : il a vécu sa vie avec passion et sa mort fut une passion à l’instar de son Maître. L’enthousiasme, l’engagement, le don de soi, une seule et unique raison de vivre façonnent les saints, les héros, les leaders. Il en sera ainsi pour nous comme cela a été pour Pierre, Paul, les disciples du Seigneur et les successeurs de Pierre. Pierre aimait la pêche, il était un homme passionné de pêche. Héritage du paternel, qui saurait le dire, Pierre avait une petite entreprise de pêche qu’il menait avec passion, et des associés eux-mêmes passionnés, en particulier, Jacques et Jean, les fils du père Zébédée, surnommés boanergès, c’est-à-dire fils du tonnerre, prêts à faire descendre le feu du ciel sur un village de samaritains opposés au passage de Jésus (Luc 9:54 et Mc.3:17).
A eux trois, peut-être davantage, ils vivaient passionnément pour la pêche et l’entreprise, sortant chaque nuit pour aller à la pêche en haute mer, sur le lac de Génésareth ou Tibériade. Or un matin, la nuit avait été minable, ils étaient rentrés bredouilles, sans la moindre prise. Soucieux autant que passionnés, ils s’occupaient à laver leurs filets, de grands filets soutenus en surface par des morceaux de liège et dans l’eau profonde par des morceaux de plomb, de grands filets hauts comme des murs avec lesquels ils raclaient le fond de la mer. «On se reprendra, pensaient-ils dans leur jargon de pêcheur que rien ne peut désespérer; la lune grimpe dans le ciel et le poisson mordra davantage ce soir ». Sur la rive, se tenait Jésus, le «rabbi» dont ils avaient fait connaissance quelques jours auparavant.
Une foule l’entourait. À peine trouvait-il un espace pour leur parler. Sans la moindre hésitation, le maître prit pied dans une des barques, celle de Simon, le contre-maître, et lui demanda de l’éloigner un peu de la terre, il serait ainsi plus libre pour s’adresser à tous ces gens avides de l’entendre et de se faire guérir, car déjà il avait opéré quelques guérisons. Un moment, Jésus s’arrête et demanda à Simon : «Avance en eau profonde et lance tes filets.» Les pauvres ! ils venaient à peine de rentrer, la nuit n’avait pas été propice et le jour le serait encore moins. «Ouais! de rétorquer l’apôtre, mais sur ta parole, je veux bien tenter ma chance une fois encore. » Homme de passion et passionné de pêche, Pierre ne démissionne jamais ; peut-être qu’en bout de ligne, se trouveront quelques poissons perdus, errants, alors la journée n’aura pas été perdue et les efforts vains. Le résultat ne se fit pas attendre : ils relevèrent leurs filets remplis de poissons au point que les mailles cédaient sous la pesanteur. Ils firent appel aux associés et de cette pêche miraculeuse à leurs yeux, ils remplirent les deux barques qui menaçaient de s’enfoncer.
L’enthousiasme, l’enivrement, la passion du pêcheur remplirent de frayeur le pauvre Pierre devant cette pêche imprévue, l’apôtre tomba à genoux au pied du Seigneur, et de cet homme passionné de pêche, mais que des vains essais n’avaient jamais désarmés, Jésus allait faire un pêcheur d’homme : «Désormais, ce sont des hommes que tu prendras». Il demeure significatif que Jésus ait privilégié parmi les disciples qui le suivaient des pêcheurs et surtout qu’il ait mis à part le plus passionné d’entre eux pour le rendre responsable de sa mission. Mais ce pêcheur de Galilée, investi de la mission de pêcheur d’homme, n’allait pas remplir sa mission sans faiblir. Ce ne sont pas les mailles du filet qui vont céder, mais la confiance et la fidélité.
Pierre avait sans le moindre doute tous les enthousiasmes et les engouements souhaitables pour la mission à laquelle il allait se consacrer corps et âme, mais il en connaîtrait aussi les failles. Celui-là même qui allait à la Transfiguration reconnaître le Fils du Dieu vivant serait le même qui le renierait au prétoire où les servantes et la soldatesque le soupçonneraient de faire partie du groupe de Jésus : « Je ne connais pas cet homme », affirmera-t-il trois fois avant que le coq ne chante. Celui-là même qui se levait au soir de Cène pour jurer :« Quand tous t’abandonneraient, moi, jamais ; je mourrai pour toi ! » et qui dans la nuit des Oliviers allait dégainer l’épée pour ferrailler et défendre son maître, serait l’un des premiers à fuir. Toutes les antithèses se retrouvent en cet homme de passion, les pires comme les meilleurs. Mais Jésus le choisit précisément parce qu’il était un homme de passion, un homme passionné. La passion de saint Pierre atteindra son apogée lorsque après la résurrection, au moment de les quitter, Jésus lui demande par trois fois : « Pierre, m’aime-tu? » « Tu sais bien, Seigneur, toi qui sais tout, combien je t’aime ». Alors Jésus confie le troupeau à cet homme passionné qui conformera sa vie passionnée à celle de son Maître en mourant comme lui sur une croix.
Que demander davantage à tous les gardiens du troupeau à quelque titre que ce soit sinon qu’ils soient eux-mêmes des hommes et des femmes de passion pour le meilleur comme pour le pire. Les successeurs de Pierre en particulier en ce XXe siècle qui fut le dernier, furent littéralement des êtres passionnés que l’on pourra sans doute, à certains égards, suspecter d’infidélités à l’Évangile, mais qui n’en furent pas moins des hommes passionnément consacrés au service du Christ, de son Église et du monde. Tous, ils nous dérangèrent parce qu’ils furent passionnés de l’humanité autant que de la divinité.
Si Jean-Paul II n’était pas de cet envergure, qu’en seraient-ils des J.M.J. qui rassemblent la jeunesse de tous les coins du monde. La passion, la passion jusqu’à la mort, ce que Jésus a toujours privilégiée : « Plût à Dieu que tu fus chaude ou froide », écrivait l’auteur de l’Apocalypse à l’église de Laodicée : « Je connais ta conduite : tu n’es ni froid ni chaud – que n’es-tu, l’un ou l’autre ! – aussi puisque te voilà tiède, ni chaud ni froid, je te vomirai de ma bouche» (Ap. 3:15). Puissions-nous entretenir en nous-même un secrète passion que le Seigneur retiendra bien un jour pour son service.