La loi de Jésus
Jésus déclarait à la foule : «Je vous le dis à vous qui m’écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. A celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre. A celui qui te prend ton manteau, laisse prendre aussi ta tunique. Donne à quiconque te demande, et ne réclame pas à celui qui te vole. Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux.
Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance pouvez-vous attendre? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment. Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance pouvez-vous attendre? Même les pécheurs en font autant. Si vous prêtez quand vous êtres sûrs qn’on vous le rendra, quelle reconnaissance pouvez-vous attendre? Même les pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu’on leur rende l’équivalent.
Au contraire, aimez-vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande et vous serez les fils du Dieu très-haut, car il est bon, lui, pour les ingrats et les méchants.
Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés. Donnez, et vous recevrez une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans votre tablier; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira aussi pour vous.
Commentaire :
«Je vous le dis »… Ces premiers mots de l’évangile rappelle la répétition presque obsessionnelle que nous retrouvons chez Matthieu : «Vous avez appris (dans la Loi, il va sans dire)… Eh bien! moi je vous dis»… (Mat. 5: 21,27,32,34) Corriger ainsi à la Loi, il y avait de quoi scandaliser de la part d’un juif qui se disait envoyé par Dieu. Mais quand Jésus se permet pareil langage, il a soin d’ajouter : «Ne pensez pas que je suis venu abolir la Loi ou les prophètes, je ne suis pas venu abolir, mais parfaire (Mat. 5:17). Le Christ vient porter à sa perfection la volonté de Dieu.
Si le texte de saint Luc, lu et médité dimanche dernier, a pu déranger notre conception de la vie et de la pauvreté chrétienne, ce chapitre risque de nous bousculer bien davantage. Ce passage sur l’amour des ennemis demande vraiment à être précédé d’une référence à l’Ancien Testament puisque Jésus vient accomplir, parfaire la loi en ajoutant que «pas un iota ne disparaîtra de la loi avant que le ciel et la terre ne passent». Les textes de l’Ancien Testament ont pleine valeur pour qui veut aller au bout de la pensée de Jésus, lui-même respectueux de cette Loi qu’il vient parfaire. Il serait osé de croire que la Lumière de l’Évangile puisse éteindre la lanterne de l’Ancien testament. Et avant d’appliquer inconsidérément à notre conscience ce mot de Jean: «Si ton cour ne te condamne point, Dieu non plus ne te condamne pas (1 Jn. 3 :21), il serait sage de nous référer à la loi des bédouins du désert (Ex.22-23) pour apprécier justement la qualité de nos relations avec autrui, surtout si le Loi de Jésus porte à cette perfection cette Loi.
Ce préambule permet de comprendre pourquoi Jean écrivait : «Bien- aimés, ce n’est pas un commandement nouveau que je vous écris, mais un commandement ancien que vous avez reçu dès le début. Ce commandement ancien est la parole que vous avez entendue. Et néanmoins, encore une fois, c’est un commandement nouveau que je vous écris»¼ 1 (Jn. 2.7-8)
La loi de l’Église primitive
«Petits enfants, n’aimons ni de mots ni de langues, mais en actes vraiment. L’amour des ennemis dans cette catéchèse de Luc à ses ouailles se présente en forme d’antithèse tout autant que l’Évangile des béatitudes qui béatifiait les malheureux. Ici, il faut aimer qui ne nous aime pas, faire du bien à qui nous fait du mal. Et l’évangéliste d’ajouter : «Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance pouvez-vous attendre, même les pécheurs aiment ceux qui les aiment». Il serait difficile de présenter une exigence chrétienne avec plus d’humour. L’attitude caritative que Luc présente, c’est toujours à la fois dans la lumière du Jésus qu’il1 le fait et dans l’esprit des bédouins du désert.
Loi du désert
Comme disciples de Jésus, nous ne pratiquons plus la modération recommandée par la loi du talion, bien que celle-ci présentait une réelle progression sur la principe de la vengeance : «Vie pour vie, dent pour dent, pied pour pied » (Ex.21:24-25). La dureté d’une telle législation apportait quand même certain adoucissement à la répression sans fin du crime et à la vengeance comme le rappelle la sauvage cantilène de Lamek : «Caïn sera vengé sept fois, mais Lamek septante fois sept fois (Gn.4:24). La loi du talion va limiter cette vengeance à la réciprocité.
Mais dans la loi nouvelle, Jésus demande de renoncer de toute manière à ce droit. L’ancienne mesure de la vengeance devient mesure du pardon : se venger septante fois sept fois devient, avec la loi du talion, se venger une seule fois; le sermon sur la montagne enseignera de ne pas résister au méchant et le discours ecclésiastique, de pardonner septante fois sept fois. (Mt. 18:22)
Loi de Jésus
Le Christ nous demande d’aller plus loin, jusque à l’amour de nos ennemis, amour semblable à celui du Père qui repose sur tous. «Aimez vos ennemis afin que vous soyez les enfants votre Père». La question du pardon est crucifiante, révoltante; tout oublier, n’avoir plus rien sur le coeur, plus encore, aimer nos ennemis. C’est jusque là que Jésus veut que nous allions comme il nous l’a enseigné sur la croix : «Pardonne-leur, ils ne savent ce qu’ils font».
Encore faut-il bien comprendre les divers recommandations de cet enseignement de Jésus. Ce serait faire preuve de manque de sens que de comprendre qu’il nous faille par exemple tendre la joue gauche lorsque quelque un nous soufflette sur la joue droite. Jésus n’a pas présenté l’autre joue au valet qui le frappait; au contraire, il le reprend en disant : «Si j’ai mal parlé, prouve-le; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappe-tu» (Jn 18:23). L’esprit du poème du Serviteur de Yahvé (Is.50:5-6) inspire l’enseignement de Luc : «J’ai tendu les joues a qui m’arrachait la barbe, je n’ai pas soustrait ma face»…Amour sans mesure pour être aimé sans mesure : «Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés»., «Aimez vos ennemis, faites du bien sans rien espérer. Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez pas, ne condamnez pas, pardonnez, donnez… La mesure dont vous vous serez servi pour les autres servira aussi pour vous ».
Tel est la véritable portée de la Loi et de l’enseignement de Jésus : «Moi je vous dis»… L’idéal proposé est la perfection même de Dieu vécue par nous sur la terre, but ultime de la grâce du Christ, perfection sans cesse à atteindre et qui ne connaît aucune limite.
Cet amour, le poème de la Sagesse le chantait quelques dizaines d’années avant la venue du Christ : «Tu as pitié de tous… Tu ferrnes le yeux sur les péchés des hommes pour qu’ils se repentent. Tu aimes toutes les créatures». (Sag. 12:23-24)