A bon coeur, bonne bouche
Jésus s’adressait à la foule en paraboles : « Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? Ne tomberont-ils pas tous deux dans un trou? Le disciple n’est pas au-dessus du maître; mais celui qui est bien formé sera comme son maître. “Qu’as-tu à regarder la paille dans l’oil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton oil à toi, tu ne la remarques pas? Comment peux-tu dire à ton frère: “Frère, laisse-moi retirer la paille qui est dans ton oil, alors que tu ne vois pas la poutre qui est dans le tien? Esprit-faux ! Enlève d’abord la poutre de ton oil; alors tu verras clair pour retirer la paille qui est dans l’oil de ton frère. “Jamais un bon arbre ne donne de mauvais fruits; jamais non plus un arbre mauvais ne donne de bons fruits; chaque arbre se reconnaît à son fruit : on ne cueille pas des figues sur des épines; on ne vendange pas non plus du raisin sur des ronces. L’homme bon tire le bien de son cour qui est bon; et l’homme mauvais tire le mal des son cour qui est mauvais : car ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du coeur.»
Commentaire :
« Mon éloge résonnait dans toute oreille. Et jetrouvais faveur à tous les yeux. Car je délivrais le pauvre en détresse. Et l’orphelin privé d’appui. J’étais les yeux de l’aveugle, les pieds du boiteux. C’était moi le père des pauvres (Jb.29:11-16). Job, un chrétien avant la lettre ! «Les yeux de l’aveugle, le père des pauvres», on croirait entendre Jésus s’identifier aux envoyés de Jean Baptiste : «Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles voient et les boiteux marchent, les lépreux sont guéris et les sourds entendent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres» (Mt. 11 :5)«Frères, que devons-nous faire? » Telle était la question posée par les premiers convertis de la Pentecôte (Actes 2.37. Elle sous-tend toute la lecture des Évangiles. Elle comportait également un souci de rayonnement apostolique. Telle est le sens de la péricope que nous lisons ce dimanche.
Le sommaire de la première communauté chrétienne témoigne bien de la ferveur des nouveaux convertis: «Ils se montraient assidus à l’enseignement des apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières» (Ac.2 :42-47). C’est dans cette optique que nous devons lire les évangiles, non comme un livret d’anecdotes concernant le Christ, mais comme la catéchèse des apôtres aux premiers disciples: des réponses à leurs questionnements et désirs de conformer leur existence quotidienne aux enseignements du Christ ressuscité. Il va sans dire que ce sont les paroles de Jésus qui nous intéressent, mais nous ne pouvons les atteindre qu’au travers la présentation qu’en donnent les évangélistes.
L’intérêt de cette réflexion sur l’évangile (Lc.6:39-45) repose avant tout sur l’utilisation comparée des mêmes propos par Matthieu et Luc. Lorsqu il traite des pièges du jugement et qu’il dénonce les faux prophètes, Matthieu prévient ses ouailles du danger de voir la paille dans l’oil de son frère et non la poutre dans le sien (Mat.7:3-5), et du fruit que seul peut produire tout arbre bon.Saint Luc, avec des propos identiques, clôt le «Discours inaugural» comportant les «Béatitudes» (6:20-38), et il le fait par un exemple, une parabole : un aveugle peut-il guider un autre aveugle?
L’engagement des premiers convertis à imiter le Christ en son amour de miséricorde et de bienfaisance (6:27-38) comportait non seulement un vécu mais aussi un apostolat, un témoignage. «Que devons-nous faire» non seulement pour être dans la suite du Christ, mais pour annoncer le mystère du Royaume. Luc voulait édifier une Église vivante au prise avec les défis quotidiens. Mais pour l’évangéliste, pas de conversion personnelle sans souci de témoignage : le converti est appelé à rendre compte de l’espérance qui est en lui (1 Pi.3.15), il doit susciter chez l’auditeur une certaine complicité et être reconnu dans ses aspirations et ses espoirs. L’apôtre doit parler aux hommes de sa vie et c’est dans la trame du quotidien qu’il les interpelle.
La question posée par les néophytes devait engendrer une même question chez les aspirants de seconde génération. A leur tour de demander: «Que devons-nous faire?»Luc s’adresse donc aux responsables des églises chargés de guider leurs frères, ils se doivent d’être très lucides et n’ont pas le droit d’être aveugles. Car si «un aveugle ose guider un autre aveugle, tous deux tombent dans le trou» (Mat. 15:14). La compassion est de mise mais non le jugement et la critique. Les responsables des communautés doivent exercer leur fonction dans la vérité et la charité.
C’est un appel à la conversion profonde lancé à qui veut convertir les autres. Ainsi devons-nous comprendre le sens de ces versets de saint Luc en guise de finale au Discours inaugural.(6:39-49) Alors se réaliseront les promesses de Jésus et son identification aux disciples de Jean Baptiste (Mat. 11;4-6) Le nouvel appelé à suivre Jésus, par la prédication des apôtres, ne doit pas être aveugle, mais lucide, doté d’un regard pur et compatissant et produire de bons fruits par toute sa conduite quotidienne.
Et de conclure l’évangéliste : «L’homme bon tire le bien du trésor de son cour qui est bon.Car ce qui dit la bouche, c’est ce qui vient du cour». «On ne voit bien les choses qu’avec son coeur».