Les institutions chrétiennes n’ont pas la cote. Les traditions non plus. Le monde d’aujourd’hui, du moins en Occident, entretient avec elles une relation ambiguë. On s’émerveille volontiers devant les traces de leur gloire passée : engouement pour la simplicité complexe du chant grégorien, attachement à la pureté de l’architecture romane, fascination éblouie devant les poèmes de Jean de la Croix, reconnaissance respectueuse envers l’ouvre courageuse de l’abbé Pierre ou de mère Teresa, sensibilité émue par les Requiem de Mozart ou de Fauré.
Tous les musées de l’Occident constituent un émouvant hommage rendu à la puissance inspiratrice du christianisme et à ceux et celles qui en ont vécu. Mais l’on voit davantage aujourd’hui dans les institutions et les traditions le poids du passé plutôt que l’ouverture sur l’avenir. On y décèle une volonté d’empêcher ou du moins de contrôler l’innovation, la création, l’invention. Les certitudes reçues ne font pas bon ménage avec notre expérience du soupçon. Les formulations dogmatiques se concilient mal avec notre conception de la vérité que nous estimons, avec raison, toujours relative. Les rites immuables et sacrés coexistent difficilement avec la dynamique de nouveauté qui anime les créateurs de la télévision ou des rituels d’ouverture des Jeux olympiques.
On estime à bon droit que la recherche spirituelle ne saurait se développer dans la contrainte ou dans la dépendance. Chacun, chacune refuse de se laisser modeler, encarcaner, embrigader, récupérer. On pressent avec justesse que le cheminement spirituel implique une ouverture radicale à l’inédit, un accueil inconditionnel de ce qui arrive, en un mot, qu’il est bien plus ouverture sur un avenir incertain qu’actualisation d’un passé riche, peut-être, mais révolu.
Ces exigences si fondamentales pour la vérité de la recherche spirituelle ne facilitent pas les choses pour les pèlerins du sens. Ce que la spiritualité ou la foi gagnent en caractère personnel se paie souvent au prix de grands tâtonnements, d’absence de balises fiables et d’isolement.
Sans doute a-t-on besoin de retrouver le sens véritable d’une tradition spirituelle. «Ô insensé, qui essaies de te porter sur tes propres épaules! Ô mendiant, qui viens mendier à ta propre porte ! » (Rabindranath Tagore). On peut sans doute apprendre à prier par soi-même, mais comme il est difficile de progresser sur les chemins de la prière sans être initié par quelqu’un qui sait d’expérience ! Il est important de savoir marcher seul, seule, mais tout aussi important de compter sur du soutien mais aussi de s’exposer à la confrontation dans sa démarche personnelle.
Loin d’être aliénante, une véritable tradition spirituelle conduit la personne vers elle-même. Vers sa propre vérité. Comme l’écrit un théologien et spirituel chrétien d’Amérique du sud, il s’agit d’apprendre à boire à son propre puits. Une vraie tradition spirituelle permet d’apprendre à se recevoir. Elle révèle à soi-même, elle donne accès au meilleur en soi.
Une tradition spirituelle est comme un chemin. Un chemin qu’on emprunte peut-être pour un temps, entre deux carrefours, peut-être d’une manière définitive aussi. C’est un espace d’apprentissage. Voilà pourquoi la tradition juive recommande à ceux ou celles qui souhaitent acquérir la sagesse de s’attacher à un maître. « Si tu vois un homme intelligent, cours à lui dès le matin, que ton pied use les marches de sa porte » (Si 6 36).
C’est l’esprit de ce site, ouvert et respectueux, mais enraciné dans la tradition chrétienne et, d’une manière plus explicite, dans la tradition dominicaine séculaire.