Rainer Maria Rilke
Seigneur, tu es le pauvre
Tu es le pauvre, le dénué de tout,
tu es la pierre qui roule sans trouver le repos,
tu es le lépreux hideux dont on se détourne
et qui rôde autour des villes avec son grelot.
Pas plus que le vent tu n’as de lieu
et ta beauté cache mal que tu es nu
et même le vêtement qu’un orphelin met en semaine est
plus somptueux,
car au moins il lui appartient.
Tu es pauvre comme le besoin de naître d’un enfant
dans une fille honteuse d’être mère
et qui serre son ventre au risque d’étouffer
l’autre vie qu’elle porte et qui tressaille en elle.
Tu es pauvre comme une pluie printanière
qui descend doucement sur les toits d’une ville
et comme le seul vou chéri d’un prisonnier
au fond de sa cellule à jamais hors du monde.
Tu es pauvre comme les malades qui dans la nuit
se retournent sans cesse et sont presque heureux
et comme les fleurs entre les rails
si tristes dans le vent confus des voyages
et comme la main qui monte aux yeux pour cacher des
larmes trop tristes.
Et que sont, devant toi, tous les oiseaux qui
tremblent?
Qu’est-ce, devant toi, qu’un chien affamé?
Qu’est-ce, pour toi la longue et silencieuse tristesse
des bêtes
abandonnées de tous dans la captivité?
Et devant toi et ta misère
que sont tous les pauvres des asiles de nuit?
Ils ne sont que d’humbles cailloux,
et pourtant comme la pierre de meule d’un moulin,
ils donnent un peu de pain.
Mais toi tu es vraiment le pauvre, le dénué de tout,
tu es le mendiant qui se cache la face;
tu es la grande lumière de la pauvreté
auprès de qui l’or semble terne.
Rainer Maria Rilke, Traduction d’Arthur Adamov, Actes Sud, Hubert Nyssen, 1982, p. 25.
Le cantique du soleil
de saint François d’Assise
Jésus, rédempteur de tous les hommes,
Avant que naisse la lumière,
Le Père souverain t’avait engendré
Dans une splendeur semblable à la sienne.
Ô lumière et Splendeur du Père,
Espoir éternel de tous les cours,
Écoute les prières qu’à travers l’univers
Répandent tes humbles serviteurs.
O Créateur du monde, souviens-toi
Qu’en naissant de la Vierge sainte,
Tu as pris autrefois
Un corps semblable au nôtre.
Ce jour que chaque année ramène en son cycle,
En est encore une fois le témoin :
Tu as quitté l’intimité de ton Père
Pour venir te faire l’unique salut du monde.
Astres, continents, océans,
Et tout ce qui se trouve sous le ciel,
Saluez d’un chant nouveau
Celui qui de nouveau vient nous sauver.
Et nous, Jésus, qu’a lavés
Le flot de ton sang précieux,
En ce jour de ta Nativité,
Nous t’offrons l’hymne qui t’est due.
Jésus, qui es né de la Vierge,
Que la gloire te soit rendue,
Ainsi qu’au Père et à l’Esprit divin,
À travers tous les siècles. Amen!
Raban Maur.
Traduction Missel des Fidèles (Feder)
Mame, 1961, p. 68.
La joie se trouve dans mon coeur
De sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus
Il est des âmes sur la terre
Qui cherchent en vain le bonheur
Mais pour moi, c’est tout le contraire
La joie se trouve dans mon cour
Cette joie n’est pas éphémère
Je la possède sans retour
Comme une rosée printanière
Elle me sourit chaque jour.
Vraiment je suis par trop heureuse,
Je fais toujours ma volonté.
Pourrais-je n’être pas joueuse
Et ne pas montrer ma gaîté?.
Ma joie, c’est d’aimer la souffrance,
Je souris en versant des pleurs
J’accepte avec reconnaissance
Les épines mêlées aux fleurs.
Lorsque le Ciel bleu devient sombre
Et qu’il semble me délaisser,
Ma joie, c’est de rester dans l’ombre
De me cacher, de m’abaisser.
Ma joie, c’est la Volonté Sainte
De Jésus mon unique amour
Ainsi je vis sans nulle crainte
J’aime autant la nuit que le jour.
Ma joie, c’est de rester petite
Aussi quand je tombe en chemin
Je puis me relever bien vite
Et Jésus me prend par la main
Alors le comblant de caresses
Je Lui dis qu’Il est tout pour moi
Et je redouble de tendresses
Lorsqu’Il se dérobe à ma foi.
Si parfois je verse des larmes
Ma joie, c’est de les bien cacher
Oh! que la souffrance a de charmes
Quand de fleurs on sait la voiler!
Je veux bien souffrir sans le dire
Pour que Jésus soit consolé.
Sainte Thérèse de Lisieux,
Poésies
Le Cerf/Desclée de Brouwer, 1979, p.209