Dieu tu es mon Dieu
Georges Bernanos
Nous nous faisons généralement de la prière une si absurde idée! Comment ceux qui ne la connaissent guère – peu ou pas – osent-ils en parler avec tant de légèreté? Un trappiste, un chartreux travaillera des années pour devenir un homme de prière, et le premier étourdi venu prétendra juger de l’effort de toute une vie!
Si la prière était réellement ce qu’ils pensent, une sorte de bavardage, le dialogue d’un maniaque avec son ombre, ou mois encore – une vaine et superstitieuse requête en vue d’obtenir les biens de ce monde -, serait-il croyable que des milliers d’êtres y trouvassent jusqu’à leur dernier jour, je ne dis pas même tant de douceurs – ils se méfient des consolations sensibles – mais une dure, forte et plénière joie! Oh! Sans doute, les savants parlent de suggestions. C’est qu’ils n’ont sûrement jamais vu de ces vieux moines, si réfléchis, si sages, au jugement inflexible, et pourtant si rayonnants d’entendement et de compassion, d’une humanité si tendre.
Par quel miracle ces demi-fous, prisonniers d’un rêve, ces dormeurs éveillés semblent-ils entrer plus avant chaque jour dans l’intelligence des misères d’autrui?
(Journal d’un curé de campagne)
Prière de saint Grégoire de Nazianze (IVe siècle)
0 toi l’au-delà de tout
N’est-ce pas là tout
ce qu’on peut chanter de toi ?
Quelle hymne te dira, quel langage ?
Aucun mot ne t’exprime.
A quoi s’attachera-t-il ?
Tu dépasses toute intelligence.
Seul, tu es indicible,
car tout ce qui se dit est sorti de toi.
Seul, tu es inconnaissable,
car tout ce qui se pense est sorti de toi.
Tous les êtres,
ceux qui pensent
et ceux qui n’ont point la pensée,
te rendent hommage.
Le désir universel,
l’universel gémissement tend vers toi.
Tout ce qui est te prie,
et vers toi tout être qui pense ton univers
fait monter une hymne de silence.
Tout ce qui demeure, demeure par toi ;
par toi subsiste l’universel mouvement.
De tous les êtres tu es la fin;
tu es tout être, et tu n’en es aucun.
tu n’es pas un seul être ;
tu n’es pas leur ensemble ;
tu as tous les noms
et comment te nommerais-je,
toi qu’on ne peut nommer?
Quel esprit céleste pourra pénétrer les nuées
qui couvrent le ciel même ?
Prends pitié, 0 toi l’au-delà de tout –
n’est-ce pas là tout ce qu’on peut chanter de toi ?
La prière
Boulat Okoudjava
Tant que la terre tourne encore, tant que le jour a de l’éclat,
Seigneur, donne à chacun de nous
ce qu’il n’a pas :
Donne au sage une tête, un cheval au peureux,
Donne à l’homme heureux de l’argent…
et pense à moi un peu.
Tant que la terre tourne encore, Seigneur,
elle est en ton pouvoir !
Donne à qui veut régner l’ivresse du pouvoir,
Donne, au moins jusqu’au soir,
repos au généreux,
A Caïn le remords…
et pense à moi un peu.
Je sais : pour toi tout est possible, et je crois en ton sage esprit,
Comme un soldat mourant croit
en ton Paradis,
Comme croit chaque oreille à tes propos de paix,
Comme à soi-même on croit, sans savoir ce qu’on fait !
Seigneur Dieu, mon Seigneur, toi dont l’oil vert rayonne,
Tant que la terre tourne encore
et soi-même s’étonne,
Tant qu’il lui reste encore et du temps et du feu,
Donne à chacun sa part…
et pense à moi un peu.
BOULAT OKOUDJAVA,
Poésie russe,
traduction Jean Besson,
Maspero, 1983.