l y a de ces passages difficiles que nous proposes les évangiles tel que celui-ci : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sours, et même sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple » (Luc 24, 25-33).
Comment concilier la tendresse de Dieu et la dureté des paroles de Jésus ? Jésus n’est-il pas le porte-parole et l’expression même de l’amour de Dieu pour les petits et les pauvres, de son bon accueil à tous les exclus de la société? Comment concilier cette bonté en Jésus avec un texte qui, à première vue, évoque un certain sectarisme où l’on prône le renoncement à sa volonté propre, la suite aveugle d’un chef religieux illuminé?
Pour concilier ces contradictions apparentes, nous avons besoin de comprendre ce que veut dire marcher derrière Jésus et le texte de Luc est extrêmement révélateur. Il nous situe au cour même de ce qui doit nous animer lorsque l’on veut suivre Jésus. Trois verbes résument cette suite : lutter, construire et aimer.
Cet été j’ai découvert dans un magazine une photo extraordinaire qui date de 1936. Elle a été prise à Berlin à la veille de la dernière guerre mondiale. On y voit une foule qui accueille Hitler et qui fait le salut nazi, le salut au chef, le zeig heilt ! Dans cette foule il y a un homme et il a les bras croisés, c’est le seul que l’on voit ainsi, alors que tout autour de lui les bras sont levés bien droits pour acclamer le chef. Cet homme a une mine très résolue, le visage dur et l’on devine qu’il s’agit sans doute de quelqu’un de très courageux, qui prend un risque énorme. J’ai vu dans cette image une analogie très forte avec la suite du Christ et la condition du disciple.
Le disciple du Christ est appelé à marcher sur les mêmes routes que son Maître. À cause de sa foi, son engagement en ce monde est fait de risques et d’audaces. Son combat est souvent solitaire et il doit être prêt à y engager toute sa vie (ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne ). Même seul au coeur de la masse humaine il porte en lui la détermination du Christ.
Pourtant, Jésus était loin d’être un révolutionnaire violent et anarchiste. Certains l’appelaient prophète, ce qu’il était sûrement. Pour d’autres il était surtout un chantre de l’amour et du pardon de Dieu, un messager du Royaume qui vient. Il savait que bien souvent l’amour n’est pas aimé et il dénonçait l’hypocrisie de ceux qui prétendaient servir Dieu, mais sans amour. Jésus connaissait bien le cour de l’Homme, comment il se satisfait trop souvent de paradis artificiels, de faux-semblants qui défigurent les mots amour, amitié, tendresse dont il se drape.
Jésus est venu nous redire que le plus grand combat qui se livre en ce monde est un combat pour l’amour. Il est venu s’engager au cour de cette lutte et inviter des disciples à le suivre. C’est pourquoi il utilise un langage parfois guerrier. Car vivre pleinement comme un homme et une femme relève d’un combat, un combat semblable à la lutte acharnée de l’athlète qui s’entraîne et qui court l’épreuve. L’enjeu de ce combat est une construction, une ouvre comme on en a jamais vu : c’est le règne de Dieu annoncé par l’Évangile de Jésus Christ. Et ce règne de Dieu c’est l’accomplissement, l’épanouissement de l’être humain que nous sommes tel que voulu par Dieu. C’est à l’annonce et à la réalisation de ce Règne de Dieu que s’engagent les disciples de Jésus.
La lutte pour ce Royaume est de l’ordre d’un combat spirituel, un combat exigeant, souvent solitaire, et Jésus ne veut laisser aucune illusion à ses disciples, d’où le radicalisme de l’interpellation : Celui qui vient à moi sans me préférer à son père, sa mère. ne peut pas être mon disciple.
Voilà un appel qui peut en faire hésiter plus d’un, car nous savons tous qu’il n’est pas facile de nous retrouver seul avec notre foi et nos valeurs dans un monde qui trop souvent contredit l’Évangile. Jésus connaît ce combat et cette solitude, et c’est pourquoi il rappel à ses disciples qu’il faut avoir le courage de prendre sa croix pour le suivre. Être chrétien impose parfois des choix déchirants. Mais le disciple trouve son courage dans cette suite même de Jésus, car il sait qu’en marchant dans ses pas il n’est jamais seul. Jésus disait : Mon Père est toujours avec moi , et cette réalité il en fait don aux siens dans cette promesse qu’il fait avant de les quitter après sa résurrection: Et moi je suis avec vous jusqu’à la fin des temps .
Si l’invitation du Maître est exigeante, c’est qu’il y a dans sa suite un passage incontournable pour aller vers le Père. Quant au disciple, il n’est pas laissé à lui-même. Il va trouver force et courage en se mettant à l’écoute de Celui qui est la route, qui est la Sagesse même de Dieu, qui vient nous apprendre à aimer au cour de cette lutte pour l’avènement du Royaume de Dieu. Car c’est l’amour qui rend fort pour le combat, qui donne le courage de persévérer dans les épreuves et la solitude, et le Christ, par son Esprit, dépose en nous cet amour pour le Père qui le faisait vivre et lui donnait la force de poursuivre sa mission.
A l’école de Jésus l’on apprend l’amour de Dieu et du prochain. L’on découvre que c’est cet amour qui permet d’aimer en vérité : père, mère, enfant, frère, sour, époux, épouse, ami. Car l’amour selon ce monde, est trop souvent fait de compromissions et de mensonges. Ce que Jésus révèle à ses disciples c’est que l’on apprend à aimer en aimant Dieu le premier.
Par l’invitation radicale que Jésus fait à ses disciples de l’aimer avant toute personne, il veut simplement signifier que l’amour est plus grand que le simple attachement à une personne, serait-elle mon conjoint, mon père, ma mère ou mon meilleur ami. L’amour vrai a sa source en Dieu et doit être porteur du souci de Dieu pour l’autre, comme Jésus l’a porté. Aimer à l’école du Christ ce sera sans cesse faire la vérité et être transparent de la vie même de Dieu en nous. C’est la voie qu’a suivi Jésus et c’est celle qu’il propose à ses disciples afin de construire avec lui le Royaume de Dieu.
La suite du Christ est une mission passionnante qui exige de ses disciples une remise totale de leur vie entre les mains de Dieu, dans un attachement inconditionnel à son Fils. L’Évangile prend soin de nous redire la radicalité de cet attachement, tout en nous rappelant qu’en aimant Jésus le premier, en acceptant de prendre notre croix avec lui, l’amour sera toujours le premier servi.